Travail et santé Dossiers

 Dossier Lien n°209 - L’activité travail-santé fédérale

 

Résister avec son travail pour ne pas exposer notre santé

La FERC se donne les moyens par l’activité du collectif travail-santé de prendre le temps de former, d’informer, d’outiller les militant·es pour développer l’activité syndicale autour du travail réel. La parole des travailleur·ses doit pouvoir trouver des espaces d’écoute libres, les militant·es doivent pouvoir disposer de connaissances pour les accompagner et agir. A la poubelle la « qualité de vie au travail » et allons là où le patronat ne veut pas, c’est-à-dire sur les questions de (dés)organisation du travail et l’impact que cela peut avoir sur la santé.

Le projet du collectif travail-santé est bien d’équiper les camarades de la fédération notamment par le biais de la formation ou des journées d’études thématiques pour qu’iels puissent s’emparer avec les travailleur·ses de ces problématiques et remettre au cœur des négociations la réalité du travail afin d’apporter de vraies propositions à la hauteur des enjeux de santé au travail tels qu’ils se posent aujourd’hui.

Nous proposerons plusieurs niveaux de formation (base, niveau 1 et 2, HSCT) ainsi que des journées thématiques : risques socio-organisationnels, mener une activité syndicale autour des questions de santé dans un cadre préventif, mais aussi dans l’accompagnement des accidents de travail, maladie professionnelle, inaptitude, burn-out, arrivée du numérique… La loi prévoit « encore » un haut niveau de protection même si le patronat n’a plus d’obligations de résultats, les militant·es CGT avec les salarié·es ont toute leur place pour aider à construire des espaces de résistance.

Pourquoi les militant·es de la CGT doivent s’emparer de la question ?

Le patronat, le gouvernement ne sont pas avares dans l’utilisation d’un langage comme « bien-être au travail », « qualité de vie au travail », « feel good management », « wellness programm » et autres supercheries sémantiques mais surtout idéologiques. Cela cache en fait la réalité du travail : le vrai travail s’effectue dans des conditions de plus en plus dégradées, les cas de souffrance au travail explosent, les avis d’inaptitudes pleuvent quand ce ne sont pas des démissions car la fuite reste parfois le seul moyen de « sauver sa peau ».
Les mêmes sont à la manœuvre, iels n’ont de cesse depuis la fin des années 90 de détruire les quelques avancées en la matière : disparition des CHSCT, réforme de l’Inspection du travail (suppression de postes d’inspecteur·trices, réduction des prérogatives…), remise en cause à terme de la mission de contrôle des services des CARSAT, séparation du conseil et du contrôle, mainmise plus importante des employeur·ses sur les services de santé au travail…

La propagation du capitalisme, la mondialisation et la financiarisation de l’économie ont eu pour conséquence le renforcement de l’exploitation des travailleur·ses par le patronat qui cherche à tout prix à se déresponsabiliser. La course au profit, la recherche de la rentabilité, la suppression massive d’emplois dans les services publics ont des conséquences directes sur la santé des travailleur·ses. L’intensification des cadences, le développement de la polyvalence, la perte des statuts, du sens même de son métier entraînent une forte augmentation des risques socio-organisationnels, burn-out, inaptitudes en tous genres et suicides.

Pour notre syndicalisme, il est capital, tout en ne lâchant rien sur les thèmes de l’emploi et des salaires, de se réapproprier la question du travail dans toutes ses dimensions : valeurs anthropologique, sociologique, marchande et psychologique.

La démarche travail en pratique à l’AFPA : du Livre noir à un accord qualité du travail !

La démarche qualifiée de passionnante [1] s’est déroulée en 3 temps. Celui du diagnostic, à partir des CHSCT, l’expérimentation avec Yves Clot et son laboratoire du CNAM et enfin la signature d’un accord d’entreprise.

Lors de la mise en place par la direction d’un Plan Stratégique National (PSN 2010-2014), les CHSCT de plusieurs établissements ont déclenché des expertises avant de rendre leur avis sur le PSN. Démarche initiée en intersyndicale, les différent·es expert·es ont constaté qu’en corolaire de la cure d’amaigrissement (Lean management) de 12000 à 9000 salarié·es, la souffrance au travail explosait. Notamment celles et ceux qui restaient devaient faire plus, mais moins bien, ce qui constituait un conflit de valeur chez ces professionnel·les. La publication d’un Livre noir des conditions de travail [2] synthétisait ces expertises et mettait la direction devant ses responsabilités.

Une réunion des personnels, lors d’une table ronde le 7 décembre 2012, dans la salle Ambroise Croizat [3] à la bourse du travail, en présence d’Yves Clot, posait clairement la question de la « qualité empêchée » par ce Lean management qui ne disait pas son nom ! La direction ne pouvait plus dire qu’elle ne savait pas, elle a dû signer une convention avec le laboratoire d’Yves Clot pour une étude de ce qui constituerait « le beau travail » pour les formateur·trices. Mais des freins (liés à la surcharge) sont apparus chez ces formateur·trices, concerné·es par l’expérimentation. Le syndicat CGT s’est investi notamment avec les 5 premiers expérimentateur·trices, pour l’exemple !

« Parler de son travail, c’est déjà commencer à agir » est une des pistes dégagée dans le cadre de l’expérimentation sur la qualité du travail avec l’équipe d’Yves Clot. Elle sera concrétisée dans l’accord d’entreprise « relatif à la prévention des Risques Psycho-Sociaux et à la qualité du travail au sein de l’UES AFPA » par la mise en place de collectifs métiers réunissant des salarié·es en dehors de la présence de hiérarchiques. L’accord est loin d’être parfait (prévention secondaire et tertiaire) mais la CGT a pu obtenir des moyens (la charge de travail sera prise en compte, ainsi que des budgets dédiés) pour ces collectifs, ce qui a fait pencher la balance pour la signature, en novembre 2020.

L’action du syndicat CGT a été déterminante dans un contexte où le PSE a bien désorganisé la boîte (et ce n’est pas fini...) tout comme l’a fait la crise sanitaire. La 4ème étape est bien évidemment la mise en œuvre effective qui ne peut se faire qu’avec l’adhésion des salarié·es ! C’est pourquoi le syndicat national a décidé lors de la CE de septembre de mettre en place début 2022 une formation d’animateur·trices de collectifs métiers afin que les militant·es puissent se saisir de cette question, pour faire de chaque travailleur·se un·e acteur·trice du « beau travail » ».

Enfin on n’est pas surpris que la Direction générale s’approprie l’esprit de cet accord, ou comment les non signataires usurpent le travail mené, depuis plus de 6 ans, par la CGT et les autres organisations syndicales signataires ! Une nouvelle démonstration que la lutte paie !

Collectif Travail – Santé : entretien croisé Elena Blond - Lorena Klein

Elena Blond et Lorena Klein sont les co-animatrices du collectif fédéral sur les activités Travail - Santé. Leurs profils complémentaires, la volonté de travailler collectivement et le pluralisme de leurs approches sont des potentialités pour les organisations fédérées sur le sujet central pour le syndicalisme. La preuve dans cet entretien croisé.

1 - Quel est ton parcours personnel et professionnel ?

>> Elena Blond : j’ai eu 3 vies professionnelles. Après mes études à l’UEREPS de Marseille, j’ai été pendant 7 ans maîtresse auxiliaire (MA) dans le 93 poursuivant mes études en parallèle. Ça a été l’occasion de faire un DEA « Où sont les filles ? » ou comment les filles issues de l’immigration vivent leur corps dans les différents espaces. Travail co-écrit car j’adore travailler à deux ! L’expérience se renouvellera lors d’un 2ème DEA d’anthropologie du cinéma créé par Jean Rouch, et d’un Master très récent sur les types de rapport avec les familles de classes populaires qui ont un enfant en situation de handicap. Ma 2ème vie, à Montluçon (Allier), est celle d’une conseillère en insertion professionnelle en Mission Locale et c’est à cette occasion que j’adhère en 1998, à la CGT. Enfin depuis 2006, je suis professeuse des écoles.

>> Lorena Klein : ingénieure chimiste, arrivée comme une perle rare dans un abattoir en Roumanie, j’étais en charge du contrôle qualité et analyses physico-chimiques. J’étais également la secrétaire de la section de la jeunesse communiste (850 membres) de l’entreprise. Appartenant aux 10 % de la méritocratie, j’ai été promue responsable qualité – analyses à la capitale, Bucarest. À la chute du régime, mon mari est parti à Paris, je l’ai rejoint un an après. Cette vie d’avant me semble un film que je regarde mais que je n’ai pas vécu ! Arrivée en France en 1991, avec le statut de réfugiée politique, je suis aidée par la CIMADE dans son activité d’intégration. Je ne parlais pas un mot de français (mais anglais et espagnol, elle découvrira notre langue après 5 jours de cours ! [NdA]). Je suis passée par les petits boulots (serveuse, aide-soignante,...) que me proposait l’ANPE. C’était bon pour développer l’humilité ! Puis ce fut la rencontre avec un co-stagiaire dans une formation professionnelle en commerce international dont le père était directeur de recherche au CNRS, en chimie, ma spécialité ! De nouveau un parcours de la combattante pour repasser DEA et doctorat en France, du travail « hors statut » au CNRS avant de l’intégrer en 1999, 8 ans après mon arrivée !

2 - Quelle est l’origine de ton engagement syndical ?

>> Lorena Klein : bien qu’ayant fait vœu, en 1991, de ne plus jamais m’engager, c’est à l’occasion d’élections au CA de l’établissement que je me suis présentée sans étiquette. D’ailleurs, la secrétaire de la CGT pensait que j’étais un sous-marin de la direction. Après avoir vécu 27 ans un régime communiste, je n’imaginais pas un instant adhérer à la CGT ! Puis on a appris à se connaître et j’ai adhéré au SNTRS. La secrétaire déplacée à Jussieu, j’ai repris la petite section (4 à l’époque ; 30 aujourd’hui) puis repérée on m’a rapidement proposé des responsabilités bien qu’être cheffe, « ça m’emmerde ».

>> Elena Blond : mon premier engagement (sans appartenance) date de la lutte contre la réforme Devaquet quand j’étais étudiante (1986). Arrivée dans un LP à Aubervilliers, on me propose d’être sur une liste CGT au CA. C’est 1995 et je vis très fort ce grand moment de lutte, naturellement j’accepte la proposition d’adhésion en 1998 quand elle se présente avec la ferme intention de militer. Je me suis très vite formée, pris des responsabilités (DS/DP) et à la CE de l’UD. Je serai élue secrétaire de l’UL de Montluçon, en 2013 et à la CE de la FERC lors du congrès de Dijon !

3 - Quelles sont tes responsabilités actuelles ?

>> Elena Blond : mon équilibre est sur 2 pieds, l’inter pro et la fédération. Ex-secrétaire de l’UL de Montluçon, je suis toujours dans le collectif de direction ; de même qu’au bureau de l’UD 03. Dans le champ professionnel, je suis co-secrétaire de mon SDEN, membre du bureau de l’Union Educ’action, et bien sûr membre de la CE FERC. J’ai toujours une activité professionnelle où je préfère faire des remplacements, ne pouvant assurer la régularité d’une gestion de la classe.

>> Lorena Klein : pour ma part, je suis détachée à 70 %, plus la représentation aux divers CHSCT, dont celui Ministériel de l’ESR, mais mon labo me manque ! Je suis au bureau du SNTRS et membre de la CE fédérale. J’ai 5 mandats aux CHSCT : Ministériel, DGAFP, CNRS central et régional et de mon établissement. À l’inter pro, je suis élue à la CE de l’UL 5/6 de Paris.

4 - Quelle est ta perception du « travail » tel qu’il évolue actuellement ?

>> Elena Blond : la dégradation des emplois « à statut » et la montée de la précarité, avec le recours massif aux intérimaires, par exemple j’en ai vu passé 18 différents en 4 mois, ou l’Uberisation ! Il y a un éloignement des centres de décision qui fausse complètement le « dialogue social ». Corrélativement, le management devient autoritaire et rend l’individu responsable en cas d’échec ! Il y a une casse délibérée du collectif et une mise sous pression psychologique, facteurs qui propagent le mal être au travail.

>> Lorena Klein : je constate la disparition de pans entiers de métiers supports tels que technicien·nes de labo, souffleur·ses de verre (essentiel·les pour l’expérimentation en chimie), mécanicien·es ou menuisier·es. C’était des qualifications de base, mais iels avaient un boulot et iels contribuaient à la recherche ! Aujourd’hui c’est le désert dans les locaux. Ce qu’iels faisaient avant, ça nous retombe dessus, c’est à nous de le faire maintenant ou c’est l’externalisation ! Pendant qu’on fait ça, on ne fait plus le boulot pour lequel nous sommes payés, on ne s’occupe plus des thésard·es, ce sont les « Post-doc » qui les encadrent ! Les tâches administratives me prennent plus de temps que mon travail expérimental ! Comme Elena, je constate que ceux et celles qui prennent les décisions n’ont jamais mis les pieds dans un labo !

5 - Selon toi, comment répondre au mal être des salarié·es ?

>> Lorena Klein : rompre l’isolement ! Au travers de mon expérience dans les différents CHSCT, je vois comment à partir d’un problème individuel, on en fait une question collective et on identifie les véritables responsabilités. Mais l’exercice est délicat, il faut être à l’écoute car on est souvent le dernier rempart, sans pour autant devenir le bureau des plaintes ! Il faut avoir de la distance, garder l’empathie tout en se protégeant soi-même ! Prendre soin de soi, pour pouvoir prendre soin des autres !

>> Elena Blond : pour construire du collectif, je suis d’accord avec Lorena, il faut recueillir la parole et décaler la question individuelle vers une problématique que le collectif s’approprie. À partir de là, on peut mobiliser les outils du droit et construire des rapports de force. Cela passe aussi par la formation des militant·es pour qu’iels puissent accompagner, conseiller sur le terrain et syndiquer ! C’est pourquoi nous avons développé un module de base « Travail - Santé » de 2 jours pour le dispenser en masse dans toutes les organisations de la FERC.

6 - Quelle serait ta devise pour le collectif fédéral « Travail – santé » ?

>> Elena Blond : ne pas perdre sa vie au travail, agir pour résister avec son métier

>> Lorena Klein : Collectif - Partage - Passion


[1Le Peuple, N°1718, Mai 2014

[2https://cgtafpa.fr › wp-content › uploads › 2016/07

[3Ambroise Croizat est aussi le fondateur de l’AFPA. Cf. « La pédagogie de la promotion sociale », Syllepse, octobre 2019