Travail et santé Guide

 Les cahiers de l’OFCT - n°1 : Derrière productivité, compétitivité... la lutte des classes !

 

Intensification du rythme de travail, transformations perpétuelles de l’organisation du travail et des organigrammes, concurrence entre personnels, mal être et souffrance au travail, burn out et suicides sont autant de situations qui affectent les travailleurs dans leur intégrité physique et mentale. Au-delà de la dénonciation, il nous faut aujourd’hui mieux comprendre la stratégie du management patronal qui aboutit à de tels ravages sur la vie des travailleurs.

Du taylorisme et du fordisme d’hier, au toyotisme et au lean management d’aujourd’hui…

L’objectif est le même : l’attaque du professionnalisme des salariés et la remise en cause de leurs métiers. Le fordisme avait pour objectif de déposséder les travailleurs de l’organisation de leur travail afin de leur enlever toute légitimité à pouvoir :

  • avoir un point de vue affiné sur le travail et s’exprimer sur leur travail,
  • agir sur leur travail et son organisation,
  • revendiquer de nouvelles formes d’organisation de leur travail.

Avec le taylorisme, il a entrepris de déstructurer et de transformer les métiers et les professions pour retirer aux travailleurs toute possibilité de résistance. Le principal instrument de cette désarticulation du travail a été la gestion du temps et la recherche de productivité. Ce qui éclaire singulièrement le titre du film de Charles Chaplin, Les Temps Modernes. Dans ce film, ce dernier montre qu’il a parfaitement cerné tout l’enjeu que représente la maîtrise du temps par le patronat et ses effets sur les collectifs de travail, sur les conditions de travail des travailleurs et ses conséquences sur leur santé physique et mentale. En segmentant le travail, en imposant un temps d’exécution contraint par la vitesse de la machine, de son mouvement (la chaîne de fabrication qui défile devant l’ouvrier), en contrôlant le temps de travail, en supprimant les plages de temps jugées non productives et en privant le travailleur de tout temps libre individuel (impossibilité de pouvoir penser son travail) et collectif (permettant de revenir sur le travail exécuté). On exproprie les travailleurs de leurs « travails ». Par là même, on réduit leur capacité de résistance.
Les choix opérés quant à l’organisation du travail permettent d’exproprier les salariés de leurs métiers et de leurs savoir faire. Ils sont empêchés d’avoir prise sur leur travail, son organisation, ses conditions d’exercice. Ce qui a pour effet de briser les collectifs de travail et les solidarités entre travailleurs.

La qualité du travail est une construction sociale.

Les collectifs de travail se construisent à partir des métiers, des expériences et des savoir-faire partagés collectivement. En transformant les travailleurs en exécutants, on leur enlève toute capacité de s’exprimer collectivement sur le travail. Les collectifs de travail disparaissent. Concurrence et individualisme ne peuvent que se développer.

Aujourd’hui la même logique est à l’œuvre avec le toyotisme ou le lean management. Avec la mondialisation, on a glissé de la productivité à la compétitivité et l’objectif principal demeure : économiser sur le travail, en faire un coût et non plus un investissement. Le patronat et le nouveau management dans le secteur public cherchent donc toujours à briser les collectifs de travail et à individualiser, à isoler, à mieux asservir les travailleurs. Pour ce faire, ils démultiplient des outils comme l’introduction de nouvelles méthodes de travail et d’organisation, les démarches qualité qui confinent les travailleurs dans des procédures, l’utilisation de nouveaux logiciels, les restructurations et redéfinitions de postes, des fonctions et des métiers, la mobilité des personnels, la réorganisation de services, les déménagements de locaux, etc. Pour transférer sur l’individu et faire peser sur lui la charge et les risques de l’organisation du travail prescrite par le management, l’individualisation se traduit par une prétendue autonomie dans le travail, un management par objectifs, une évaluation individuelle et la mise en concurrence permanente.

En instaurant le mouvement permanent…

Le patronat et le management public entendent imposer à tous un climat d’insécurité et d’inconfort généralisé. C’est le sentiment de précarité pour tous qui doit envahir l’esprit et la vie quotidienne des travailleurs. Ces derniers sont ainsi amenés à renoncer à leurs métiers, aux valeurs de leurs professions, pour se protéger, pour conserver leur emploi. Ils finissent par adopter malgré eux celles de leur employeur qui va chercher à développer le sentiment d’appartenance ou la notion de mission. C’est ainsi que, pour se rassurer, le travailleur accepte progressivement de transformer son propre travail en adoptant des procédures dictées par la direction.
Il n’hésitera pas non plus, dans l’espoir d’éviter les ennuis, à devancer les demandes et à anticiper de lui-même le chantage à l’emploi en acceptant de se soumettre à la normalisation du travail imposée par la direction et en s’efforçant de cacher le travail invisible qui lui permet de parvenir aux résultats attendus par sa hiérarchie.

Ce basculement vers le travail prescrit et normé par le management conduit les travailleurs à rogner sur leurs revendications, sur leurs conditions de travail et sur leurs acquis en matière de temps de travail. Le temps et sa gestion constitue, aujourd’hui plus que jamais, un enjeu majeur pour les travailleurs, quelle que soit leur entreprise, leur établissement ou leur statut. S’ils parviennent à retrouver la maîtrise de leur temps au travail, du temps du travail, les travailleurs auront la possibilité de remettre la main sur leur organisation du travail.

Cette bataille du temps doit se déployer dans les CHSCT, outils privilégiés des salariés

Ils ont la possibilité de parler et de débattre du travail et des conditions dans lesquelles il doit être réalisé. Dans les CHSCT, les salariés siègent seuls face aux représentants de la direction.

Ils sont seuls à voter et peuvent ainsi imposer des décisions à la direction. C’est là, en s’appuyant sur le réel du travail, qu’ils vont explorer, avec les travailleurs eux-mêmes, les chemins qui permettront de reprendre la main sur la gestion du temps du travail et de là, sur leurs « travails ». On comprend bien dans ces conditions tout l’empressement du patronat qui recherche, par tous les moyens, à faire disparaître les CHSCT. A les noyer dans une instance où ils ne pourront retrouver ni la totalité de leurs prérogatives, ni les principes essentiels qui les fondent.

Au sein du CHSCT

Adossés au droit du travail et à la directive UE de 89, les travailleurs mettent leur « patron » devant sa responsabilité non dérogatoire d’assurer la santé et la sécurité de tous les personnels qui travaillent dans son entreprise ou son établissement. Il est personnellement comptable devant la loi, sa responsabilité civile et pénale est directement engagée.
C’est en investissant le CHSCT que les travailleurs syndiqués doivent retrouver le temps de leur réflexion et de leur action sur le travail, sur son organisation, pour se le réapproprier. Pour cela, il est indispensable qu’ils inscrivent leur travail dans la durée. L’enjeu est de construire au fil du temps la faute inexcusable qui permettra de faire plier ceux qui défendent leur « droit de tuer », de rétablir les travailleurs dans leurs droits, de faire reconnaître leur capacité à avoir un regard expert et avisé sur leur travail et son organisation.

...l’objectif est le même : l’attaque du professionnalisme des salariés et la remise en cause de leurs métiers...