RetraitéE - continuité syndicale UFR

 Mai 68, un autre regard

 

Un double paradoxe

Début mai, la multiplication des incidents à l’université de Nanterre, sa fermeture, l’occupation policière de la Sorbonne, enclenchent un cycle répression-mobilisation qui débouche sur la nuit des barricades du 11 mai 1968. Le 13 mai, des manifestations monstres de solidarité se développent partout en France. Dès le 14, des étudiant·es rejoignent en cortège, depuis Nantes, la première occupation d’usines Sud Aviation à Bouguenay. Le 21 mai, la grève se généralise. Il s’agit du plus puissant mouvement de grève du XXe siècle : 7 à 9 millions de grévistes sur 16 millions d’actif·ves.

Néanmoins, le mouvement social de mai 68, si on le compare aux grèves de mai-juin 36, nous mène au constat d’étranges paradoxes. En 1936, une victoire politique du Front populaire déclenche le mouvement de grèves victorieuses, l’extraordinaire mouvement de grèves de mai-juin 1968 s’achève par une défaite politique. Les grèves de 36 entraînent des changements substantiels de la condition ouvrière en France : 40 heures par semaine et 15 jours de congés payés. Les grèves de 68 apportent en conquête majeure une modification importante du rapport de force patrons-syndicats avec la reconnaissance de la section syndicale de l’entreprise.

Un mouvement social convergent... et divisé

Le mouvement de grève prend des allures de grèves catégorielles qui convergent et paralysent le pays. La CGT utilise pleinement son implantation syndicale pour lui donner toute sa puissance. Néanmoins, la division est patente entre un mouvement étudiant jeune, radicalisé, à facettes multiples et la CGT.
Puissance syndicale de premier plan, la Confédération, liée au PCF, affirme une méfiance marquée à l’égard des étudiant·es contestataires « enfants de la bourgeoisie », à l’égard des « gauchistes », autres figures des gauches alternatives de l’époque.

Si, fin avril 2016, Philippe Martinez, ira prendre la parole Place de la République, dans le cadre des forums « Nuit debout » contre la loi El Khomry, il est impensable d’imaginer Georges Séguy dans une cour de la Sorbonne, qui lui est fortement hostile en mai-juin 68.

Une reprise difficile

Fin mai, le pouvoir est vacant, sans qu’aucune alternative politique crédible ne se dessine. La signature des Accords de Grenelle sur les salaires et le droit syndical du 27 mai, le discours du général de Gaulle annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale le 30 mai, préfigurent le reflux du mouvement.

La « reprise victorieuse dans l’unité » (L’Humanité, 6 juin 1968) se fait en réalité fort difficilement. Dans la première quinzaine de juin, de Sud Aviation aux salarié·es de Peugeot-Sochaux, le retour au travail se fait souvent sous tension, la Confédération pousse à la reprise. Il faut, dans le cadre d’un retour à l’ordre, passer le relais aux partis politiques via un processus électoral normalisé.

Un bilan en demi-teintes

Si le mouvement de mai 68 s’est traduit par la satisfaction de revendications salariales et par la reconnaissance du fait syndical dans l’entreprise, la division du mouvement social a entravé sa dynamique : rien sur la réduction du temps de travail, qui en mai 68 est au cœur des aspirations ouvrières.

Plus fondamentalement, mai 68 a permis des changements importants dans la société française : le statut de la jeunesse en est sorti radicalement modifié ; dans les années qui suivent, les mouvements féministes et écologiques prennent leur essor.