Sport SNPJS CGT Dossiers

 Vers la privatisation du sport

 

Entretien avec Marie Buisson, secrétaire générale de la FERC-CGT et Marie-Thérèse Fraboni, secrétaire générale du Syndicat national des personnels du ministère de la Jeunesse et des Sports

■ Fonction publique : Quelles sont les missions du ministère des sports ? La séparation de la jeunesse et de la vie associative (rattachée au ministère de l’éducation nationale) a-t-elle eu un impact sur le ministère dans son essence même et sur l’exercice de ses missions ?

◗ Marie Buisson, Marie-Thérèse Fraboni : Les missions du ministère des sports sont d’une part la définition de la politique sportive de haut niveau, incluant les manifestations nationales et internationales et, d’autre part, celle du développement du sport pour tous, dont la formation aux métiers du sport.

Le ministère conduit aussi une politique de prévention en matière de lutte contre le dopage, les incivilités et les violences dans les stades, le racisme et toutes conduites discriminantes.

Le rattachement de la jeunesse et de la vie associative à l’éducation nationale constitue bien une brèche dans l’organisation des missions. Sous couvert d’un affichage politique qui place l’intervention de l’État dans un cadre interministériel, nous observons que les deux champs d’intervention jeunesse et sports avancent désormais parallèlement. Il y a de moins en moins de porosité, sauf, à la marge dans la politique de la ville, pour laquelle le mouvement sportif contribue via les financements à ouvrir aux jeunes habitants des QPV (quartiers politique de la ville) la découverte de pratiques sportives diversifiées. La toute récente nomination d’un secrétaire d’État à la jeunesse va sans doute accentuer cette césure. C’est la raison pour laquelle notre demande déjà réitérée de la création d’un grand pôle éducatif en charge de coordonner toutes les missions éducatives afin de redonner du sens à l’action éducative, devient urgente.

Il nous faudra aussi évaluer l’impact de la mission du futur et nouveau Service national universel sur l’ensemble de la politique de jeunesse…

Nous allons vraisemblablement vers l’affirmation d’une politique sportive de haut niveau, élitiste, conduite par l’État au détriment d’une politique de développement des activités physiques et sportives pour tous. Depuis l’obtention des Jeux Olympiques en 2024 par la France, la motivation gouvernementale vers la recherche de l’excellence et de la performance est passée devant celle de l’accès à la pratique pour toutes et tous.

Les métiers du sport sont encore régis par le Code du sport, et les diplômes d’État fondés sur une exigence de qualité de la formation des éducateurs sportifs. Pour combien de temps encore ? Il y a une telle pression du côté des employeurs à réclamer des formations courtes de type Certificat de qualification professionnelle pour faciliter l’employabilité dans la branche et répondre enfin à la demande ! Force est de constater, qu’en réalité, la lame de fond est celle de la généralisation des qualifications de bas niveau pour justifier des emplois payés au rabais et ainsi ubériser le champ du sport déjà connu comme un vivier de salariés précaires : CCD, temps partiels, fort turnover, etc.

■ Fonction publique : Les personnels ont appris par voie de presse la transformation de la direction des sports en agence nationale du sport. En quoi cela modifie-t-il le rôle de l’État en matière de développement du sport ? Puis, fin juillet la suppression de 1 600 postes était annoncée (45 % des agents du ministère) ? De quels postes s’agit-il ? Quelles conséquences en découlent ? Quelle peut être dans ces conditions la viabilité d’un ministère ?

◗ Marie Buisson, Marie-Thérèse Fraboni : Au printemps dernier la décision fracassante de création d’une Agence nationale du sport est venue troubler les travaux dits de «  la gouvernance du sport  » qui devaient en principe aboutir en juillet. C’est dire combien les réunions, les séminaires et autres ateliers de concertation ont tous un point commun. Celui de poursuivre un objectif de communication. Dans les faits les décisions sont déjà dans les tiroirs…

L’agence acte le désengagement de l’État. En effet la gouvernance de l’agence sera tripartite 30 % pour l’État, à parts égales avec le mouvement sportif et les collectivités territoriales. L’État pour l’instant reste le seul financeur, le centre national pour le développement du sport (CNDS) étant fondu dans l’Agence. Comme l’un des objectifs de cette évolution est aussi de développer les partenariats public-privé la part de 10 % dévolue aux entreprises est vouée à croître.

En conséquence il y a tout lieu de s’inquiéter des choix politiques futurs qui se porteront sur le soutien à des sports «  rentables  » donc réduits à ceux qui génèrent des profits : télévision, paris en ligne…

La suppression annoncée des 1 600 postes participe d’ailleurs de cette vision politique du sport. Les agents visés sont les conseillers techniques sportifs (CTS). En qualité de fonctionnaires, ils sont placés auprès des fédérations sportives. Ils concourent à leur développement via des apports en conseil, formation, entraînement. Aujourd’hui ils sont remis en cause par les grandes fédérations qui réclament d’exercer la pleine autorité sur l’ensemble des salariés qui interviennent en leur sein. Pour bénéficier des fonds publics, les présidents sont toujours preneurs, mais ils ne supportent plus la tutelle de l’État et voudraient revoir les conventions d’objectifs encadrant les délégations de service public qui les lient à la direction des sports.

Les CTS sont l’essence même du ministère ! Sans eux, c’est la mort du ministère.

Ils sont la colonne vertébrale du modèle français du sport fondé sur l’interaction de la puissance publique et du mouvement sportif. Ce sont eux qui détectent et forment nos futurs champions Ce sont eux qui apportent leur expertise à nos bénévoles dans les clubs…

■ Fonction publique : Face à ces annonces quelles ont été les réactions de la CGT ? Intersyndicale ? Quelle vision porte la CGT de politiques publiques du sport et de la jeunesse ? Quelles sont les revendications avancées dans l’immédiat ?

◗ Marie Buisson, Marie-Thérèse Fraboni : Face à cette entreprise gouvernementale de destruction des emplois publics pour aller vers la privatisation du sport, la CGT manifeste son opposition à la vision d’une société radicalement libérale au sens économique. En effet le message lancé aux associations est clair : financez-vous vous-mêmes. A contrario de ce diktat nous proposons une mobilisation constante des agents par des grèves, mais aussi l’organisation d’assises du sport qui réuniraient les acteurs du sport dont les fédérations moins médiatiques attachées à l’organisation actuelle, les élus locaux et évidemment les pratiquants, qui ne savent pas encore que le coût de la licence serait au moins multiplié par 3 ! Préparer un moment fort de grève des animateurs des clubs et du temps périscolaire est à l’étude également.

Nous sommes partie prenante d’une action intersyndicale qui est historique dans notre champ d’intervention, intersyndicale très large : UNSA, FSU, CFDT, CGT, FO, Solidaires.

La CGT est à l’initiative d’une rencontre avec Marie-George Buffet rapporteure à l’Assemblée nationale du budget sport et vie associative.

Cette mobilisation pour préserver une politique publique du sport s’inscrit aussi dans un mouvement plus large, et qui doit se construire, de lutte pour la préservation de nos services publics, seuls garants de l’égal accès de toutes et de tous sur tout le territoire, à la culture, au sport, à l’éducation, à l’émancipation. ◆

SERVICE PUBLIC DU SPORT : ITINÉRAIRE D’UNE DESTRUCTION PROGRESSIVE

TRIBUNE DE MARIE-GEORGE BUFFET

Lundi 23 octobre, séance du soir à l’Assemblée nationale. L’étude du projet de loi de finances pour l’année 2019 touche à sa fin.

L’article 29 arrive, il est relatif aux taxes affectées. Chacune de ces taxes finance des organismes d’État. Elles sont le plus souvent plafonnées, c’est-à-dire qu’une fois une certaine somme récoltée, le surplus va dans le budget général de l’État.

Ce soir-là, c’est au tour des crédits dédiés au Centre national pour le développement du sport (CNDS) d’être étudiés. Trois taxes le financent : deux sont dans le champ de la Française des Jeux et portent sur les jeux de loterie et les paris sportifs. La troisième permet de prélever un pourcentage des droits de retransmission télévisuelle, taxe que j’avais créée lorsque j’étais ministre de la Jeunesse et des Sports afin d’améliorer le financement du sport amateur.

DISPARITION DU CNDS EN 2019

Je propose plusieurs amendements déplafonnant ces trois taxes, augmentant ainsi le financement du sport de plusieurs dizaines de millions d’euros. L’année dernière, la majorité En Marche avait baissé brutalement le plafond de ces taxes, privant le CNDS de la moitié de ses ressources. Mes collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine défendent mes amendements, ils sont soutenus par de nombreux parlementaires sur tous les bans. Le Gouvernement s’y oppose. Amendements rejetés.

Dans la foulée, la ministre des Sports et le ministre de l’Action et des Comptes publics présentent à leur tour deux amendements. Le premier augmente le plafond de la taxe sur les retransmissions de 15 millions d’euros, soit 40 millions d’euros au total, revenant ainsi au niveau de 2017. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est toujours bon à prendre.

Seulement, le second amendement présenté par le Gouvernement vient bouleverser tout le modèle sportif français : ces taxes ne seront plus affectées au CNDS mais à une Agence nationale du sport, qui n’est pas encore créée. Le CNDS disparaîtra quand l’agence sera mise sur pied, au plus tard le 1er septembre 2019.

Voilà comment la majorité LREM a supprimé par le vote d’un seul amendement cet organisme aussi important pour le sport en transférant tous ses financements, environ 150 millions d’euros, à une agence dont ni le périmètre ni le pilotage ne sont connus. Tout cela sans véritables débats puisque le temps de parole sur un amendement est très limité. Il n’y a pas eu non plus de travail en amont avec les parlementaires puisqu’à aucun moment cette question a été étudiée en commission des Affaires culturelles et de l’éducation.

Ce coup de tonnerre silencieux intervient alors que les nuages s’accumulaient depuis des mois au-dessus du mouvement sportif. L’année dernière, la suppression brutale de dizaines de milliers de contrats aidés avait mis en péril nombre de clubs associatifs. L’annonce de la baisse du budget du ministère des sports de 30 millions d’euros cette année, soit une diminution de 6 %, souleva un mouvement inédit de protestation. L’annonce de la suppression potentielle de 1 600 postes de cadres techniques nationaux d’ici 2022 acheva de convaincre le plus grand nombre de l’incohérence totale de la politique gouvernementale en matière sportive. Les mobilisations se multiplient, de la part du mouvement sportif, des professeurs d’EPS ou des fonctionnaires du ministère des Sports. Tous s’attachent à rappeler combien l’encadrement public du sport est indispensable.

QUEL AVENIR POUR LE MINISTÈRE DES SPORTS ?

Au-delà du financement, la réforme de la gouvernance suscite également beaucoup d’inquiétudes.

La nouvelle agence, selon les premières orientations qui ont été rendues publiques, sera en charge du haut niveau et du développement des pratiques, sans que nous en sachions beaucoup plus. Sa composition sera quadripartite : 30 % pour l’État, 30 % pour les collectivités territoriales, 30 % pour le mouvement sportif, 10 % pour les entreprises. Ce nouvel attelage sera donc en charge d’animer la politique d’accompagnement des sportives et sportifs de haut niveau pour répondre à l’ambition des 80 médailles pour les Jeux de Paris et de développer la pratique sportive pour atteindre l’objectif affiché de 3 millions de pratiquantes et pratiquants en plus.

La première question qui se pose est celle de l’avenir du ministère des Sports qui est plus que jamais incertain. Son budget est famélique, son administration déconcentrée est noyée dans le pôle des affaires sociales, son inspection sera sans doute bientôt rattachée à l’Éducation nationale et les cadres techniques nationaux craignent pour leur avenir. Avec la création de l’agence, ce sont désormais ses compétences et son pouvoir de contrôle qui seront fortement réduits. Ces orientations me semblent dangereuses, tant je crois au rôle premier de l’État dans ce domaine.

Néanmoins, il ne s’agit pas pour moi de nier le fait que le modèle sportif français doit être rénové.

Premièrement, l’État doit mieux garantir l’équité territoriale en termes d’accès à la pratique sportive. Les territoires carencés en équipements sportifs sont nombreux, les infrastructures sont vieillissantes, beaucoup de professeurs d’EPS ne peuvent pas assurer leurs cours faute d’accès aux stades ou aux piscines. Nous devons prendre appui sur la dynamique des Jeux Olympiques et Paralympiques pour assurer un diagnostic complet des équipements et mettre les moyens là où c’est le plus nécessaire. C’est la première condition au développement d’une pratique sportive démocratisée.

De plus, les collectivités territoriales, de loin les premiers financeurs du sport en France, doivent être mieux accompagnées financièrement et humainement afin d’aider au développement des clubs de proximité et d’assurer la présence d’équipements structurants partout sur le territoire. La suppression du CNDS dont c’était le rôle et la baisse des crédits du ministère vont à rebours de cet impératif. Tous les élus en charge du sport que j’ai rencontrés partageaient la même crainte de voir l’État leur laisser la totalité de la charge financière du sport de proximité.

Enfin, le mouvement sportif doit être associé plus étroitement aux décisions qui le concernent mais pour que cela puisse se faire efficacement, la parole et les problématiques des clubs et des licenciés doivent être mieux prises en compte par des mécanismes de démocratie interne au mouvement sportif plus aboutis.

LE RISQUE D’UNE DESTRUCTION DU RÉSEAU ASSOCIATIF

L’agence nationale du sport telle qu’elle se construit ne permettra pas de répondre à ces enjeux. Elle ne traduit en l’état actuel qu’un désengagement moral et financier de l’État. En pensant qu’une simple copie du modèle anglais suffira à développer le sport en France, l’exécutif prend le risque de dévitaliser le tissu associatif et de créer un sport à deux vitesses.

Le sport est un service public dont les piliers sont l’Éducation nationale et le monde associatif. Il repose sur l’engagement de millions de professionnels et de bénévoles. Les structures du marché privé, si elles répondent à certains besoins, sont avant tout lucratives et n’offrent pas la dimension éducative et l’encadrement qui se trouvent dans les clubs et les fédérations. L’exercice physique et la pratique du sport ne doivent pas être confondus. C’est pour cela que le sport doit faire l’objet de politiques publiques spécifiques dont seul l’État peut être le garant.

J’anime depuis plusieurs mois des réunions de travail avec les syndicats, des fédérations, l’association des élus locaux au sport, des dirigeantes et dirigeants de clubs, des professeurs d’EPS. Notre objectif est de renforcer une politique sportive ambitieuse par des propositions concrètes. Je veux que nous puissions, d’une voix unie, réaffirmer notre attachement au service public du sport et notre opposition au désengagement de l’État au profit d’une marchandisation des pratiques.

Notre enjeu est désormais de construire notre propre projet et de le porter partout, en particulier à l’Assemblée nationale, afin d’opposer au démantèlement en cours notre vision d’un sport émancipateur, vecteur de valeurs et accessible à toutes et tous grâce à un service public consolidé. ◆