Laïcité

 Congrès de la Fédération de la Libre Pensée - 22-25 août 2017

 

Intervention d’Alain Barbier au nom de la FERC CGT au congrès de la Fédération Nationale de la Libre Pensée (22-25 août 2017)

Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de ma camarade Marie Buisson, secrétaire générale de la FERC CGT, qui n’a pu se soustraire à une réunion confédérale qui se tient aujourd’hui.

La FERC CGT adresse un salut fraternel et chaleureux à tous.tes les congressistes de la Libre Pensée ainsi que nos meilleurs vœux pour le succès de vos travaux.
Plus que jamais, la FERC CGT se tient aux côtés de la Fédération Nationale de la Libre Pensée pour la défense de la loi de 1905 de Séparation des Églises et de l’État et pour exiger l’abrogation de la loi Debré et ses succédanés qui instituent la parité entre écoles privées et écoles publiques en matière de financements publics. La FERC CGT revendique la fin du système dual et l’intégration de tous les établissements dans un grand service public d’Éducation Nationale. Réunir ces ressources dans un système éducatif modernisé, démocratique et émancipateur est une condition essentielle pour répondre aux urgences sociales et faire face à toutes les formes d’obscurantisme distillées et instrumentalisées par le capital afin de briser les solidarités et les luttes des travailleuses et des travailleurs.

La FERC CGT tient à rappeler notamment les deux premiers articles de la loi de 1905 : la liberté de conscience (art. 1) et la non-reconnaissance et le non-financement des cultes par la République (art. 2).
« La laïcité ne sépare pas l’homme de la religion, elle sépare l’État de la religion ! », aussi la FERC CGT dénonce l’instrumentalisation du principe de laïcité, dévoyé de son sens réel, celui d’un principe régissant l’État et ses institutions et non pas la vie des individus.

Cette dérive sert un double mouvement : un contrôle nouveau des faits et gestes des individus, une démission de l’État lorsqu’il devrait protéger les franchises universitaires, conquises de haute lutte contre les ingérences du pouvoir et du clergé et qui font des universités publiques des biens communs ouverts à tous, préservant la liberté absolue du savoir et de la recherche. Or laisser pénétrer les forces de police dans l’université, vouloir y interdire tel ou tel vêtement, remettre en cause les libertés académiques des enseignantes-chercheuses et des enseignants-chercheurs sont autant d’atteintes à ces franchises.

Après la mise à mal de l’article 2 de la loi de 1905 par la loi Debré du 31 décembre 1959, qui permet d’allouer chaque année plus de 10 milliards d’euros de fonds publics pour les écoles privées et ultra majoritairement catholiques, les accords Kouchner/Vatican du 18 décembre 2008, ont ouvert une brèche dans le monopole universitaire de la collation des grades, en permettant aux établissements privés catholiques de délivrer des diplômes « profanes » reconnus comme ceux des universités. La FERC CGT exige que soit respecté l’article L731-14 du Code de l’Éducation (reprenant la loi de 1880) qui stipule : « les établissements d’enseignement supérieur privés ne peuvent en aucun cas prendre le titre d’universités. » Or, il suffit d’aller sur le site internet des établissements catholiques de Lyon, de Lille et de Bretagne-Ouest, pour voir qu’ils utilisent le titre d’université, ce qui est manifestement interdit et est « puni de 30 000 euros d’amende ». Enfin, et ce n’est pas le point le moins important, on n’oubliera pas que la loi LRU-Fioraso du 22 juillet 2013, permet le regroupement d’établissements publics et privés, dont les établissements confessionnels, ce qui induit de nombreuses dérives : dérives financières, dérives en terme de contenus de formations, de concurrence entre les formations, etc. Là encore le mélange des genres est complet entre public et privé, entre public et confessionnel.

La FERC CGT revendique :
  • La préservation du caractère laïque des formations et de leurs contenus qui doivent rester indépendants de toute pression religieuse ou confessionnelle.
  • Le retour au monopole de l’État de la collation des grades et, comme conséquence, l’abrogation de l’accord Kouchner/Vatican reconnaissant les diplômes religieux et laïques des instituts catholiques (décret n° 2009-427 du 16 avril 2009).
  • L’abrogation de la loi Debré sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés (loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959).
  • L’abrogation du statut clérical d’exception d’Alsace-Moselle : la séparation des Églises et de l’État sur tout le territoire de la République.
  • Le respect intégral des franchises universitaires, des libertés académiques et pédagogiques des enseignantes-chercheuses et des enseignants-chercheurs.

Dans son éditorial de La Libre Pensée militante, le président de la LP Jean-Sébastien Pierre aborde la thématique à l’étude cette année autour des relations entre syndicalisme et laïcité.

L’histoire de la laïcité et l’histoire du mouvement ouvrier sont étroitement mêlées.

La loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905 est l’une des grandes conquêtes du mouvement ouvrier dans la continuité de l’œuvre émancipatrice issue de la grande Révolution française. Ce n’est pas un hasard si un an plus tard, presque simultanément, en 1906, le prolétariat intègre les principes de la loi de 1905 dans son organisation, la CGT, avec la fameuse Charte d’Amiens : « … Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat. Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. ».

Laïcité et lutte des classes, laïcité et combat pour l’émancipation des travailleuses.eurs sont étroitement liés, voir consubstantiels.

Au printemps 1871, la Commune de Paris proclame la séparation de l’Église et de l’État. La Commune sera écrasée dans le sang par la bourgeoisie versaillaise via le sabre et le fusil, injuriée via le goupillon : l’Église catholique, fait édifier sur la Butte Montmartre, là où tout a commencé, le 18 mars 1871 avec l’affaire des canons, cette hideuse pièce montée, dite le « sacré cœur », en expiation des crimes des insurgés. Une véritable insulte et provocation à l’héroïque prolétariat parisien.

À partir des années 1880, la classe ouvrière relève la tête, se reconstruit ; c’est le retour des déportée.és ou exilée.és (Louise Michel), ce sont les luttes et les grèves souvent durement réprimées et c’est aussi le combat pour la laïcité et contre « l’infâme » (L’Assiette au Beurre, revue libertaire illustrée, les dessins de Steinlen…).

21 mars 1884, la loi reconnait officiellement les syndicats et leurs unions avec toutefois une arrière-pensée : faire adhérer ainsi la classe ouvrière aux idéaux de la république bourgeoise (Jules Ferry : l’école et les symboles unificateurs - drapeau tricolore, hymne national) et consacrer ainsi les fiançailles entre les ouvriers et la nation ; bannir les syndicats du champ politique, contenir le pouvoir syndical. Les luttes sociales s’intensifient néanmoins et se durcissent. La répression est souvent féroce. Emblématique, la fusillade de Fourmies le 1er mai 1891 contre les ouvriers en lutte pour la journée de 8 heures : 9 morts, 35 blessés. Édouard Drumont, dans son journal La Libre Parole, exploite l’événement à des fins antisémites tandis que l’Église catholique, à la recherche d’un socialisme chrétien et bientôt syndicalisme chrétien, tente de récupérer en sa faveur l’émotion créée par cette fusillade.

Septembre 1895, à Limoges : naissance de la CGT. Il s’agit d’un véritable tournant dans l’histoire du mouvement ouvrier et démontre sa capacité à s’organiser face à la bourgeoisie.

1894 : début de l’affaire Dreyfus. On assiste alors à une campagne antisémite et anti-ouvrière exacerbée et violente de l’Église et sa presse, notamment le quotidien La Croix. Jean Jaurès rallie la classe ouvrière à la défense de Dreyfus contre l’armée et l’Église (voir pour le contexte historique le film Le Juge et l’Assassin de Bertrand Tavernier).

À partir de 1901, une nouvelle loi sur les associations sert à combattre les congrégations religieuses, en particulier celles qui se consacraient à l’enseignement.
Le combat pour une éducation laïque et émancipatrice se poursuit.

Points d’orgue : 1904, 1905, 1906

Dès 1904, certains radicaux, comme Combes ou Clémenceau prônent l’interdiction dans l’espace public de la soutane ou du voile des religieuses, au prétexte que le port de la soutane dévirilise les hommes et que tous ces signes ostentatoires témoignent d’une allégeance à l’ultramontanisme et à un État étranger. Ce genre de débats ressurgit d’une façon récurrente, notamment en 2016 autour du voile ou du burkini. Aristide Briand et Jean Jaurès ont su donner en 1905 le véritable contenu de liberté à la loi de Séparation des Églises et de l’État :

  • Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes... ».
  • Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte... ».

Les tentatives de diviser la classe ouvrière pour atténuer la lutte de classes sont de plusieurs ordres.

Xénophobie : campagnes violentes verbales et physiques contre l’immigration italienne à la fin du 19e et au début 20e siècles dans le sud, notamment à Marseille.

Discrimination religieuse : en Algérie, il s’agit de diviser le peuple algérien, via la religion. Le décret Crémieux du 24 octobre 1870 donne la citoyenneté française aux 37 000 juifs d’Algérie. Les Algériens sont définis comme « musulmans ».
Il est par ailleurs faux de dire, comme on l’entend partout, que la loi de 1905 est inadaptée à l’islam. Elle aurait dû être appliquée en Algérie. Mais le gouvernement, comme les autorités coloniales, s’y sont opposées pour les populations dites indigènes. Il n’est pas inutile de rappeler que le décret Crémieux fut abrogé sous Vichy : les juifs d’Algérie sont alors déchus de la nationalité française.

Dans l’entre-deux guerres, les 2 CGT (CGT et CGTU) demeurent fidèles à la Charte d’Amiens. Les années 1930 voient le grignotage de la loi de 1905. L’antisémitisme, toujours teinté d’antijudaïsme traditionnel (dénonciation de l’esprit talmudique, etc.) fait rage ainsi que les campagnes xénophobes contre l’immigration polonaise (expulsion de familles entières des corons du Nord), l’immigration juive d’Europe de l’Est, contre les Tziganes, les Italiens toujours, etc. Violence inouïe de la presse et de certains partis politiques.

La riposte ouvrière s’incarne dans la MOI (Main d’œuvre Immigrée) qui s’illustrera notamment dans la Résistance (Affiche Rouge).

Le final tragique, on le connait : les lois anti-juives de Vichy, les déportations des Juifs vers les camps de la mort, l’internement dans des camps en France et parfois la déportation des Tziganes. Montreuil-Bellay (Maine et Loire) est un des principaux camps d’internement des Tziganes et des plus meurtriers.

Vichy, c’est aussi l’interdiction des syndicats et des grèves. La Charte du Travail du sinistre Belin (octobre 1941) instaure des corporations par branches d’activités dans le but de favoriser l’entente entre patrons et ouvriers et d’éviter ainsi la lutte des classes.

L’Église n’aura de cesse, à cette occasion, de reconquérir le terrain perdu, principalement dans son domaine privilégié, l’éducation. En 1940, le régime de Vichy rend aux religieux le droit d’enseigner. En 1942, toutes les congrégations sont à nouveau autorisées. Ces lois restent en vigueur à l’avènement de la 4e République. En 1951, la loi Barangé, en accordant directement aux écoles privées une allocation trimestrielle pour chaque élève scolarisé, permet de subventionner à nouveau l’école catholique. En 1959, la loi Debré organise la prise en charge financière par l’État de ces écoles, à travers la mise en place des contrats dits « d’association ». Il faudrait aujourd’hui ajouter à ces mesures générales les moyens supplémentaires offerts par les collectivités territoriales, communes, départements, régions, pour subventionner à longueur d’années cet enseignement privé. L’opposition des organisations syndicales FO et CGT à cette évolution sous la 4e et 5e République est constante et résolue.

N’oublions pas non plus les batailles pour le planning familial, le droit à la contraception et à l’avortement dans les années 60 et 70. L’opposition féroce des Églises est manifeste.

La grande nouveauté aujourd’hui : ce n’est plus l’immigration maghrébine en tant que telle qui est visée, mais celles et ceux qui sont censés pratiquer l’islam. Une religion qui est stigmatisée au nom d’une laïcité détournée, défigurée. Rappelons le rôle néfaste de Riposte Laïque dont tous les thèmes ont été repris par l’extrême droite, et même la droite dite républicaine sans oublier Valls, etc. La loi de 1905 est une loi de liberté que l’on transforme en loi antireligieuse (dirigée essentiellement contre l’islam). Encore une fois, la loi de 1905 ne sépare pas l’homme de la religion mais l’État de la religion.

Ce détournement de la laïcité a pour objectif de dresser les travailleurs les uns contre les autres, de créer un climat de peur dans un contexte d’état d’urgence permanent. La FERC CGT s’est toujours élevée contre ce détournement du concept de laïcité ainsi que la Libre Pensée, de même qu’elle dénonce toujours la loi Debré, le retour du religieux, catholique notamment, mais curieusement ceux qui poussent des cris d’orfraie devant un fichu ou un bandana, s’accommodent fort bien des crèches de Noël dans les lieus publics et autres calvaires ostentatoires.

Ce détournement de la laïcité ne vise pas seulement une religion, mais aussi à museler l’expression libre des salarié.es dans les entreprises. Voir dans la loi « travail » l’article qui permet aux entreprises de prévoir dans leurs règlements intérieurs un chapitre réglementant la neutralité religieuse, syndicale et politique.
Ce n’est pas fortuit : si l’émancipation de la classe ouvrière passe par la transformation sociale, elle suppose aussi au préalable la liberté de conscience, la liberté de penser, voire de penser autrement, comme le disait si bien Rosa Luxemburg.

Dix-sept ans avant 1905, Léon Gambetta anticipait déjà sur l’esprit de la future loi de séparation de 1905, dans un discours à Romans en 1878 : « Non, nous ne sommes pas les ennemis de la religion, d’aucune religion. Nous sommes, au contraire, les serviteurs de la liberté de conscience, respectueux de toutes les opinions religieuses et philosophiques. Je ne reconnais à personne le droit de choisir, au nom de l’État, entre un culte et un autre culte, entre deux formules sur l’origine des mondes ou la fin des êtres. Je ne reconnais à personne le droit de me faire ma philosophie ou mon idolâtrie : l’une ou l’autre ne relève que de ma raison ou de ma conscience ; j’ai le droit de me servir de ma raison et d’en faire un flambeau pour me guider après des siècles d’ignorance ou de me laisser bercer par les mythes des religions enfantines ».