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 Dossier - Les lycées professionnels agricoles privés

 

Souvent méconnu et « ignoré », la FERC a décidé de donner la parole à un acteur incontournable de ces établissements, ce qui permettra de présenter les particularités de ce secteur.

FERC : Christophe, peux-tu te présenter ?

Christophe ANGOMARD : depuis 1979, je suis enseignant de mathématiques en bac pro « production et agroéquipement » dans un lycée agricole privé sous contrat avec l’État dans les Pays de la Loire. Jusqu’en 1990, j’étais salarié de droit privé embauché directement par le lycée. Suite à la loi Rocard de 1984, l’établissement a passé un contrat avec l’État et depuis, je suis contractuel de droit public.

J’ai adhéré à la CGT en 2004. Je suis DS et DP dans mon établissement (membre élu du CSE actuellement). Par ailleurs, je suis co-responsable du secteur agricole de mon syndicat (le SNEIP) et membre de la commission exécutive. Je suis également à la commission exécutive de la fédération et membre du bureau régional du syndicat.

FERC : qu’est-ce qui te semble particulier dans ton secteur ?

Christophe : l’enseignement agricole a souvent été un laboratoire d’innovations. Ainsi, la pluridisciplinarité, les Contrôles en Cours de Formation (CCF) existent depuis bien longtemps et bien avant que cela ne se fasse dans l’Éducation Nationale. L’enseignement agricole privé a aussi ses spécificités comme l’annualisation des services des enseignant·es ou la répartition de la Dotation Globale Horaire (DGH).

FERC : peux-tu nous apporter un éclairage sur la réalité de l’enseignement agricole et plus spécialement sur l’enseignement agricole privé ? Son organisation ?

Christophe : c’est environ 800 établissements : 220 publics, 220 privés à temps plein et 360 Maisons Familiales Rurales (MFR). L’ensemble représente plus de
160 000 élèves et étudiant·es.

La grande majorité des établissements privés à temps plein est regroupée sous deux fédérations : l’une laïque (l’UNREP) et l’autre confessionnelle (le CNEAP) qui regroupe la grosse majorité des établissements et est largement implantée dans l’Ouest de la France.

Le fonctionnement des MFR qui pratiquent des formations par alternance est différent de celui des établissements privés à temps plein : les personnels de formation n’ont pas le statut de contractuel, donc pas rémunérés directement par l’État mais par l’organisme de gestion des MFR selon une convention collective qui leurs est propre.

La CGT est présente dans ces trois composantes de l’enseignement public (CGT agri), privé (SNEIP-CGT) et MFR. Ces deux dernières composantes sont affiliées à la FERC.

FERC : l’organisation c’est aussi la gestion du temps. Comment s’organise l’année scolaire d’un·e enseignant·e dans un lycée professionnel agricole privé ?

Christophe : la DGH attribuée à chaque établissement se répartie en trois : les heures-contrat, les heures supplémentaires années (HSA) et les heures dites art.44 qui est une spécificité de l’enseignement agricole privé (cela n’existe pas dans les établissements privés de l’EN). Ces dernières, qui ne peuvent excéder 15 % de la DGH, sont directement gérées par l’établissement. Celles-ci sont affectées à des enseignant·es directement recrutés par l’établissement.

La CGT condamne l’abus de cette pratique qui laisse le libre choix aux directeur·trices d’embaucher qui ils ·elles veulent et parfois au détriment de contractuel·les. Ces personnels sont directement sous la coupe du·de la chef·fe d’établissement et attendent souvent longtemps la contractualisation.

Nous subissons également l’annualisation du temps de service.

Un·e enseignant·e à temps plein doit effectuer 18h par semaine. Dans le cas de l’annualisation, le temps annuel est de 648 h (18h X 36 sem) réparties sur les semaines de présence des élèves aux lycée qui est bien inférieur. (pour exemple dans mon lycée :
29 semaines pour les secondes pro et 26 pour les terminales). En conséquence, le temps hebdomadaire face aux élèves est très souvent et parfois largement supérieur à 18 heures.

Si je prends mon exemple pour l’année scolaire 2018/2019. Compte-tenu de ma décharge syndicale, je devais, en théorie, effectuer 12 heures par semaine. Dans la réalité, j’ai eu pendant 18 semaines 16 heures hebdomadaires (semaines où toutes mes classes étaient présentes au lycée). À côté de cela des semaines à zéro heure, 2 heures, 4 heures, 10 heures… Comment gérer ces déséquilibres ?
La flexibilité de l’annualisation est accrue dans certains établissements où l’emploi du temps change chaque semaine et l’enseignant·e connaît ses horaires de cours le vendredi pour la semaine suivante : comment s’organiser ? Comment prévoir des rendez-vous personnels ?

FERC : est-ce que la réforme de la formation professionnelle impacte la vie des lycées agricoles privés ?

Christophe : la réforme de la voie professionnelle dictée par la loi du 5 septembre 2018 sur « la liberté de choisir son avenir professionnel » impacte aussi les lycées agricoles. On en parle moins car ils ne représentent qu’une plus faible part de l’enseignement professionnel en France.

Une instruction technique du 3/04/2019 de la DGER (service du Ministère chargé de l’enseignement) demande à chaque Direction Régionale de l’Agriculture (DRAAF) de s’emparer des objectifs de cette loi et de se rapprocher des organisations professionnelles et des Conseils Régionaux pour évaluer les besoins de la profession et d’avancer les formations à mettre en place par l’apprentissage.

Comme nos camarades des lycées pro de l’EN, nous craignions que l’application de cette loi favorise l’apprentissage au détriment des lycées Pro et que l’enseignement général, source de développement personnel et de culture, soit sacrifié. Déjà depuis plusieurs années, bon nombre d’établissements privés ont ouvert un CFA avec des formations qui viennent en concurrence avec celles proposées par le LP.

La particularité de nos lycées est d’avoir un enseignement en Éducation Socio-Culturelle (ESC) et aussi en informatique qui propose aux élèves une ouverture sur le monde et un moyen de prise d’initiatives par la mise en place de projets. Mais, pour combien de temps encore ?

FERC : Il est souvent avancé que les LP sont en difficulté particulièrement sur les périodes de stages des élèves qui ont des difficultés à trouver une entreprise.

Christophe : dans notre secteur, en règle générale, il n’y a pas de difficultés pour trouver des entreprises acceptant d’accueillir des élèves en stages surtout dans les domaines de la production ou du machinisme. C’est probablement moins vrai dans le secteur du service à la personne pourtant souvent en demande de personnel.

Mais ceci ne doit pas être un argument faisant croire qu’il serait plus facile de trouver une entreprise acceptant un·e apprenti·e plutôt qu’un·e stagiaire.

FERC : justement, qu’en est-il de la mixité des publics, apprenti·es – élèves ?

Christophe : depuis quelques années déjà, on a vu, dans les lycées agricoles privés l’ouverture de sections de formations par apprentissage. Le phénomène s’amplifie actuellement et ce n’est pas sans poser certaines difficultés.

Dans les lycées, où l’on ouvre en apprentissage les mêmes filières qu’en formation initiale, il y a souvent concurrence des premières au détriment des secondes. Dans mon lycée, l’apprentissage a commencé par les filières BTS et les 3 ou 4 premières années, il y avait mixité des publics (apprenti·es et étudiant·es à temps plein dans la même classe). L’expérience n’aura pas duré.

On a très vite vu les limites tant sur le plan pédagogique que celui des relations apprenti·es/étudiant·es. Les semaines où les apprenti·es étaient absents, les enseignant·es devaient prévoir des activités pour les étudiant·es ne répondant pas à des objectifs fondamentaux afin de ne pas pénaliser les apprentis. De leur côté, les étudiant·es avaient l’impression de faire de « l’occupationnel ».

Les semaines où tout le monde était présent au lycée, la « mayonnaise » entre apprenti·es et étudiant·es avait du mal à prendre. Les premiers n’ayant pas le même rapport au travail scolaire que les seconds et attendaient fréquemment avec impatience, la fin de la semaine pour retourner dans l’entreprise. Il était difficile de créer un climat de travail.

Les résultats aux examens s’en sont ressentis tant pour les étudiant·es que pour les apprenti·es. De plus, cette mixité a provoqué une certaine ambiguïté pour les enseignant·es : certaines heures étaient rémunérées par l’État sous statut d’enseignant·e de droit public et d’autres par l’établissement sous statut de formateur·trice.
Aujourd’hui, pour toutes les filières, il y a séparation des publics même si certaines sections sont à faible effectif.

FERC : qu’est-ce que la CGT enseignement agricole privé revendique ?

Christophe :

  • l’alignement des obligations de service sur celle du public (18 h hebdo) ;
  • la suppression de la catégorie 3 (collègues en situation de précarité et sous-payés sur l’échelle des AE). Les enseignant·es recrutés sous cette catégorie sont celles et ceux qui ont les diplômes requis mais pas de concours. Les places ouvertes aux concours sont inférieures aux besoins et n’existent quasiment pas dans certaines disciplines voire pas du tout comme en EPS par exemple ;
  • l’instauration de concours unique de recrutement public-privé et commun à l’EN ;
  • la prise en compte du temps de travail supplémentaire imposé par les CCF ;
  • la révision du décret 2016-1021 sur l’ordre des priorités dans le mouvement des maître·sses vers l’EN et principalement pour celles et ceux de l’agricole en perte de poste. Paradoxalement le Ministère dit vouloir faire la promotion de son enseignement, ses débouchés et continue de supprimer des postes : une cinquantaine pour la rentrée prochaine en lien avec la modification des seuils de dédoublements à la rentrée de septembre.

Depuis trois ans seulement et c’était une revendication forte de la CGT, des enseignant·es contractuels de l’agricole (cat. 2 Certifié·e et 4 PLP) peuvent postuler, à discipline équivalente, sur des postes mis au mouvement dans les établissements privés de l’EN.
Les postulant·es sont classés par ordre de priorité selon des règles établies par l’enseignement catholique et les rectorats.

Dans cet ordre de priorité, les enseignant·es venant de l’agricole sont les derniers alors qu’ils·elles ont les mêmes diplômes et classés sur une échelle de rémunération comparable à leurs collègues de l’enseignement général.

Autant dire que cette situation rend extrêmement difficile les mutations de l’agricole vers l’EN. Pour la rentrée 2018-2019, sur 146 demandes, 45 ont été satisfaites avec des inégalités selon les académies (zéro sur Rennes, Poitiers, Bordeaux …).

La CGT demande également que ce mouvement soit aussi possible pour les agent·es de cat.3 et que les cat.4 enseignant principalement dans des classes de 4ème et 3ème de l’enseignement agricole puisse postuler sur des postes de collèges de l’EN.

La CGT revendique aussi le retrait de la déréglementation des seuils de dédoublement. C’est la dernière sortie du gouvernement au printemps dernier. Le nombre d’élèves pour qu’un dédoublement puisse se faire a été augmenté.

C’est l’incompréhension totale qui met particulièrement en difficulté les enseignements pratiques sur le terrain où l’encadrement des apprenant·es doit être important.

Sous prétexte de rigueur budgétaire, ce gouvernement en oublie la pédagogie. Parmi les différentes mesures de ces dernières années, c’est la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase » et a provoqué, pour la première fois, des actions intersyndicales conjointes public et privé.

FERC : les revendications de la CGT sont-elles portées par d’autres Organisations syndicales ?

Christophe : du jamais vu, 5 organisations syndicales du public (Cgt agri, FO enseignement agricole, SNETAP-FSU, SEA-UNSA, SUD) et 4 du privé (SNEC-CFTC, FO-MFR, CGT enseignement privé, FEP-CFDT) ont réuni leurs forces contre les attaques du gouvernement.

Le 25 juin, jour de correction des écrits bac pro, 5 centres ont été bloqués par l’intersyndicale public-privé de l’enseignement agricole.

Le SNEIP était présent à Blois (41), Lommé (59) et Brette-les-Pins (72).

Depuis des mois, les OS réclament :

  • l’abandon de la modification des seuils de dédoublements des classes, l’arrêt des suppressions d’emplois,
  • la modification de la loi « liberté de choisir son avenir professionnel » afin de prendre en compte les spécificités de l’enseignement agricole,
  • un véritable plan de déprécarisation (particulièrement les cat3 de l’EA privé) et une amélioration des conditions de travail et de rémunérations des personnels.

Face à cette mobilisation sans précédent, l’intersyndicale a été reçue par la cheffe de cabinet du Ministre les 27 et 28 juin.

Il en est ressorti des avancées sur les cat. 3 sans que cela ne soit validé par Bercy !!! Toujours l’impasse sur les seuils de dédoublements.

Cette rencontre au Ministère n’a pas apporté de réponses et d’engagements suffisants : l’intersyndicale reste mobilisée. Elle a décidé de se revoir fin août pour décider de la suite à donner dès la rentrée.

FERC : la CGT prévoit des journées d’action au mois de septembre, peut-être que lors de votre rencontre fin août vous en parlerez ? Dans tous les cas, ne lâchez rien !