« Il y a toujours eu deux gauches en Israël »
Professeur en histoire-géographie et chercheur indépendant en histoire contemporaine, Thomas Vescovi vient de faire paraitre « L’échec d’une utopie : une histoire des gauches en Israël », aux éditions La découverte.
Dans ton livre, tu présentes l’évolution des rapports de force à la Knesset (unique assemblée israélienne). D’abord très largement majoritaire à gauche elle a peu à peu basculé à droite.
Effectivement, en 1949, lors de la 1ère élection législative, la gauche rassemble 71 député·es. En 2021, 72 député·es sont de droite ou d’extrême droite. Le rapport de force s’est inversé. Pis, dans une étude de l’Institut pour la démocratie en Israël, parue en février 2019, 69,9 % des Juifs et Juives israéliens de 18 à 24 ans se disent « de droite ».
Comment l’expliques-tu ?
Premièrement, la société juive israélienne n’est plus la même. Israël a vu l’arrivée de deux vagues migratoires qui ont participé à la marginalisation de la gauche israélienne. D’abord les juif·ves du monde arabe dans les années 1950 et 1960, pour qui l’identité juive est d’abord religieuse et c’est sur cette base qu’un État prétendument juif doit être fondé. Ensuite les Juif·ves d’ex-URSS dans les années 1990. Représentant désormais l’une des plus importantes populations juives du pays, ils et elles défendent un nationalisme exclusif et ont une réelle animosité envers les valeurs socialistes ou socialisantes. Cependant, depuis 2 ans, une partie des leaders russophones tendent à converger avec le centre et la gauche en opposition à Netanyahu et surtout aux religieux qu’ils et elles estiment avoir trop d’influence sur l’État et la politique.
Deuxièmement, Israël est aujourd’hui un État profondément libéral. L’électorat juif laïque oriente davantage son vote vers le centre, capable d’articuler libéralisme et laïcité, plutôt que la gauche traditionnelle perçue comme désuète et incapable de répondre à leurs aspirations.
Qu’en est-il des Israéliennes et des Israéliens vivant dans les colonies ?
Plus de 660 000 Israélien·nes vivent dans des colonies en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est. L’étude d’une carte électorale montre clairement qu’ils et elles constituent un énorme réservoir de voix pour la droite nationaliste et l’extrême droite. Concrètement, lorsque la gauche débute une campagne, elle compte près de 500 000 voix de retard, car elle continue à être perçue, à tord concernant les travaillistes, comme opposée à la colonisation et prête à la négociation avec les Palestinien·nes.
Tu parles aussi souvent de « sionistes de gauche ». Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce possible d’être de gauche et sioniste ?
Il y a toujours eu 2 gauches en Israël. L’une, majoritaire, souhaite articuler le sionisme à des principes socialisants, comme la justice sociale. En somme, il s’agit de bâtir un État pour les Juif·ves sur des bases sociales. La fidélité au projet sioniste de ce courant l’a entraîné dans une dérive coloniale et nationaliste, au détriment des valeurs de gauche.
À l’inverse, l’autre gauche considère que les alliances de classes doivent être privilégiées et que tou·tes les habitant·es doivent avoir des droits égaux. Bien que minoritaire, cette dynamique a su enclencher de larges mouvements comme l’opposition à l’occupation dès 1967 ou à la guerre du Liban dans les années 1980.
Quelles perspectives aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la société israélienne pose un dilemme à ces centaines de milliers d’Israélien·nes qui continuent de croire en un sionisme de gauche : rester sioniste mais devoir accepter d’être minoritaire car complètement dépassé par la droitisation de la société juive, ou se recentrer sur les valeurs de gauche et engager une alliance avec les Palestinien·nes d’Israël qui constituent 20 % de la population.