CGT FERC Sup

 L’histoire du SNPES CGT en 1968 et plus...

 

Le SNPES-CGT, Syndicat des Personnels de l’Enseignement Supérieur : 1968 et autour de 1968

En 1968, notre syndicat n’avait que 5 ans d’existence, il était encore en pleine constitution. Et que dire par rapport à 1958 où le syndicat n’existait pas ?

Le syndicat National des Personnels de l’Enseignement Supérieur (SNPES) a été constitué en décembre 1962. Il a été créé par quelques camarades déjà cégétistes, qui n’ont trouvé sur place, dans l’Enseignement Supérieur, en 1959, qu’un syndicat de technicien·nes, essentiellement corporatiste. Voulant développer une activité plus générale et plus conforme à l’idée confédéraliste ils·elles se sont affiliés dans un premier temps au syndicat CGT des agent·es de lycée et ont ainsi œuvré à la création d’un nouveau syndicat le SNPES-CGT.

Le SNPES regroupait quelque temps après sa création, fin 1963, environ 400 syndiqué·es répartis en 5 sections franciliennes (Médecine Paris, Sciences Paris, Sciences Orsay, ENS Ulm, ENS Saint Cloud) et 8 sections de province (Sciences Caen, institut de Physique de Lille, Médecine Bordeaux, Sciences Marseille, Lettres Poitiers, Sciences Poitiers).

L’évolution du syndicat s’est faite, à la force des poignets et avec l’aide des structures CGT environnantes (FEN-CGT, SNTRS-CGT, ainsi que du syndicat CGT des agent·es de lycée). Ainsi dans le compte rendu du 3ème Congrès National de mai 1964 il est mentionné dans le rapport financier :

« Toutefois, notre syndicat a pris de l’extension et l’effort de travail bénévole de la 1ère année ne peut être poursuivi sur une plus grande échelle en 1964.

… Nous avons fait l’acquisition d’une machine à écrire et d’une agrafeuse. L’achat d’une ronéo doit être envisagé avec sérieux … ».

Lors de ce même congrès (mai 1964) la résolution adoptée par le congrès précise :

« Nous constatons le développement de notre organisation qui s’est renforcée de plusieurs sections notamment : Tours, Caen, Toulouse, Banyuls, Collège de France... etc… En une année le nombre de nos adhérents a presque doublé.
Notre activité syndicale a été suivie cette année : pétitions, délégations, tracts, participation massive aux grèves de la Fonction Publique ont prouvé notre vitalité.
La sortie irrégulière du journal doit être corrigée. Nous recommandons la tenue d’écoles syndicales pour former des jeunes militants…
 ».

Durant toutes ces périodes la volonté essentielle est de constituer un syndicat « à la hauteur » dans tous les domaines, humains, matériel, structurel, d’éducation syndicale… Les revendications restent plutôt, encore, corporatistes, les participations à l’action relèvent encore souvent de décisions prises ailleurs et non induites par le syndicat lui-même (sauf dans les régions) : « … Notre syndicat, seul devant l’impossibilité momentanée de lancer des grèves concernant nos propres revendications, avait entrepris une campagne de pétition pour nos catégories… ».

Ces quelques éléments montrent bien qu’en 1964 les moyens du syndicat national étaient extrêmement réduits et le syndicat lui-même en pleine construction.
Les perspectives affichées sont :

  • être les dignes représentant·es de la CGT « en s’émancipant du carcan corporatiste »,
  • se renforcer, créer de nouvelles bases,
  • améliorer son fonctionnement,
  • étendre ses activités.

Un an plus tard, mai 1965, s’est tenu le 35ème congrès de la CGT à Ivry (c’était en même temps le 70ème anniversaire de la Confédération).
Le compte rendu de ce congrès prend une part importante dans notre publication, l’Echo du Supérieur de juin 1965, ainsi que les problèmes statutaires concernant les technicien·nes et la tenue des CAP (Commissions Administratives Paritaires) concernant, en particulier, ces mêmes catégories de personnels.

Il est nécessaire de préciser encore que les moyens d’informations syndicales sont extrêmement retreints : l’Echo du Supérieur est constitué de 3 ou 4 pages ronéotées, dont on ne connait pas l’exacte périodicité (n’étant pas numérotés) et dont le contenu est très souvent très généraliste.

Dans l’Echo du Supérieur de mars-avril 1966 les contenus et le ton changent. Dans un article intitulé « Les salariés et l’expansion économique » on relève les assertions suivantes :
[…] « Nous assistons à une recrudescence de grèves et de manifestations revendicatives » […]
[…] « Nous ne pouvons rester dans l’expectative » […]
[…] « A la rentrée avec l’ensemble des fonctionnaires nous serons appelés à manifester » […]
[…] « Il nous faudra également penser à nos problèmes de personnels de l’Enseignement Supérieur. Il sera nécessaire de prendre contact avec les syndicats non-enseignants… » […]
[…] « Elaborer un plan de bataille devant nous conduire : Premièrement à démontrer à l’opinion publique que l’Enseignement supérieur ne saurait fonctionner sans notre concours, deuxièmement faire avancer nos revendications catégorielles… » […]

On voit aussi se développer des prises de positions revendicatives concernant le rôle de l’Enseignement Supérieur ainsi que les rôles des personnels « non enseignant·es » dans le développement de l’Enseignement Supérieur.
Ceci est confirmé dans un autre article de ce même Echo du Supérieur concernant la réforme Fouchet (décrets de juin 1966 sur l’Enseignement Supérieur).
L’article intitulé « Les travailleurs face à la réforme Fouchet » précise les quelques points suivants :
« grève de 3 jours des professeurs et étudiants »… durant laquelle intervenaient déjà : « […] matraque en main des groupuscules fascisants de droite et extrême droite… » […]
[…] « notre soutien le plus total à l’Université en lutte pour une véritable culture de masse qui saura lier les exigences techniques d’une nation moderne aux nécessités imposées par la formation véritable de l’homme » […]
[…] « Ce sont surtout les étudiants pauvres et les professeurs qui font les frais de la réforme » […]
[…] « cette réforme n’est en en fait que le renforcement ou la mise en place d’une série de filtres, de tamis, destinées tout en long de l’échelle à éliminer les enfants des classes les plus déshéritées » […]

Dans cette même publication on voit apparaître pour la première fois l’idée de statut unique mais concernant seulement une catégorie de personnels bien définie : les personnels techniques de laboratoire.

Le problème de représentativité dans les CAP est fortement posé, d’autant plus que des élections en ce domaine approchent.

Le syndicat se préoccupe aussi des personnels de service et des ouvrier·es d’administration mais refuse de proposer des candidatures aux CAP dans ces catégories, vues les restrictions de droit de vote accordé aux personnels par l’administration.

Dans l’Echo du Supérieur de septembre-octobre 1966, un long article met en avant les insuffisances en moyens nécessaires, les niveaux de salaire extraordinairement bas (dans les petites catégories principalement) et la nécessité de création de postes statutaires. Il est encore souligné le rôle important des personnels « non enseignant·es » dans le fonctionnement de l’Enseignement Supérieur.

L’Echo du Supérieur de décembre 1966 est essentiellement consacré au compte rendu du IVème congrès (3 décembre 1966 à Orsay), aux débats et décisions prises (Cinq pages ronéotées, recto-verso…).
Apparaissent dans les débats et le déroulement du congrès :

  • le problème des personnels administratifs non syndiqués dans notre syndicat (mais au SGPEN-CGT) d’où situation conflictuelle (et pour longtemps…) proposée à être réglée au niveau fédéral…
  • Un camarade responsable des bibliothèques… ce n’est qu’en 1970 que le SNPES deviendra le SNPESB signifiant la prise en compte sans ambiguïté de ces personnels.
  • Une plateforme revendicative clairement exprimée en 13 points portant notamment sur les salaires, la titularisation des auxiliaires, la semaine de 40 heures, 8 semaines de congés payés… et : « Adaptation de nos statuts aux besoins de l’Enseignement Supérieur en permettant une carrière décente à tous ».
  • Des résolutions sur l’organisation du syndicat elles aussi clairement formulées en neuf points (1 congrès tous les 2 ans, une commission administrative au moins 2 fois par an, organiser des assemblées générales, créer une commission pour dégager de nouvelles ressources financière, contact avec les UD…).

Une résolution sur les élections législatives :
[…] « Aussi le congrès estime que la politique dite sociale du gouvernement et de sa majorité va à l’encontre des aspirations des travailleurs.  »
En conséquence nous devons :

  • éclairer les électeurs·trices,
  • ne pas rester silencieux,
  • souhaiter que les organisations de gauche concluent un accord sur un programme correspondant aux aspirations des travailleur·ses.
  • Une plateforme revendicative particulière à la section des bibliothèques est clairement proposée.

Au travers de ces quelques éléments nous constatons une réelle structuration, en train de s’effectuer, dans tous les domaines concernant l’organisation syndicale. Les positionnements et revendications sont plus clairement définis et mis en commun, l’organisation est mieux précisée avec des objectifs à atteindre, le syndicat n’en reste plus au domaine strictement revendicatif, les visions corporatistes sont clairement dépassées. Le renforcement est effectif et réellement à l’ordre du jour.

L’Echo du Supérieur de janvier 1967 confirme cette tendance avec en gros titre « Tous en grève le 1er février ». Grève essentiellement fondée sur le refus gouvernemental d’augmenter les salaires. Le mouvement était prévu à l’appel de la CGT et de la CFDT, auxquelles s’est jointe la FEN. Malgré le non appel de FO plusieurs de ses syndicats appellent à l’action. Il est souligné dans l’article précisant les raisons de la mobilisation que « Le pouvoir gaulliste est aux abois ».

Dans ce même numéro de l’Echo du Supérieur on relève une rubrique : « au fil des jours » avec quelques dates d’actions diverses :

  • 6 décembre 66 : meeting unitaire des fonctionnaires
  • 10 décembre 1966 : rassemblement à la Bastille pour la paix au Viet Nam
  • 14 décembre 1966 : débrayages massifs métallurgie, bâtiment,
  • 16, 17,19 décembre : grèves dans les PTT,
  • 25 janvier 1967 : les cheminot·es décident d’une grève de 3 jours.

Dans l’Echo du Supérieur de février 1967 un long compte rendu est fait de la manifestation du 1er Février « De Bastille à la République »
« Sur une largeur de plus de 20 mètres c’est au coude à coude que nous avons défilé pendant près de 2 heures… banderoles CGT, CFDT, FEN… et quelques-unes de FO… Nous pouvons dire aussi que sa réussite (de ce 1er février) nous ouvre des horizons nouveaux, nous apporte beaucoup d’espoir… »

Dans ce même Echo du Supérieur, un long article, aussi, décrivant toutes les mesures néfastes à l’encontre des travailleur·ses : coût de la vie, déjà chômage, logement… Les profits augmentent, les salaires sont stables, les prix augmentent…

Il en ressort l’impression d’un fort mécontentement général et une certaine volonté de ne pas se laisser faire.
Dans le bulletin (Echo du Sup) d’avril 1967 un long article « Continuons la lutte » […] « Bien que les élections des 5 et 12 Mars derniers nous aient apporté un peu d’espoir les menaces qui pèsent sur nos statuts demeurent » […] Sans plus de détails…

Si on y regarde de plus près, ces élections, après une nette victoire des gaullistes au premier tour, montrent un grand renversement de tendance au second tour. Il s’en faut de très peu pour que la majorité gaulliste ne perde sa prépondérance à l’Assemblée Nationale (244 sièges sur 487). La gauche apparaît comme la grande triomphatrice : le PC passe de 41 à 73 élu·es, la gauche non communiste de 105 à 121 élu·es… Votants 80,89 %...

Ainsi ce qui préoccupe surtout le syndicat, ce sont les problèmes statutaires : pour la première fois apparait la proposition d’un statut identique à celui du CNRS allant dans le sens d’une contractualisation à l’encontre du statut de fonctionnaire réclamé par ailleurs par les organisations syndicales y compris du CNRS (semble-t-il…).

La revendication statut de fonctionnaire opposé à la contractualisation déjà largement rampante est fermement avancée.

Par ailleurs, dans ce même bulletin d’avril 1967, on dénonce « L’expression d’une politique de classe […]comment le pouvoir gaulliste a aggravé l’injustice fiscale »… Et déjà ! « Pour les sociétés et leurs dirigeants des mesures de faveur… Pour des millions de contribuables une charge fiscale de plus en plus lourde ».

Viennent ensuite les revendications confédérales en ces domaines.

Entre avril 1967 et mai-juin 68 je n’ai retrouvé aucune information, aucune publication, pas plus d’ailleurs que je n’en trouverai sur le congrès des 29 et 30 octobre 1968…

Dans l’Echo du Supérieur de mai-juin 1968 un article propose « Un premier bilan ». Il est signé par le bureau national du syndicat. Il en ressort, à la lecture, un sentiment étrange, comme si on ne savait plus trop où on en était… De multiples points de vue contradictoires hésitent entre la satisfaction de grandes luttes menées et la déception plus ou moins grande des résultats acquis… C’est plutôt le pessimisme qui domine !

On y relève ceci sur le plan des luttes elles-mêmes :
[…] « un mouvement qui a dépassé par son ampleur la vague de 1936 elle-même » […]
[…] « le plus puissant mouvement de grève que notre pays ait connu » […]
[…] « les travailleurs eux-mêmes se sont aperçus concrètement de ce qu’ils sont capables tous ensemble » […]
[…] « Notre grève, à nous aussi, personnel de service, personnel administratif, personnel technique est la plus puissante que nous ayons menée jusqu’à présent » […]

Et pourtant, par la suite on relève dans ce même article :
[…] « Notre grève, bien que puissante, n’a pas été très efficace dans la mesure où les étudiants et les enseignants-chercheurs étaient eux même en grève. De ce fait, le travail à assumer de notre part, que nous soyons ou non en grève était le même, à savoir l’entretien du matériel et la sécurité des locaux. Ceci explique que nous ayons eu du mal à faire aboutir nos revendications dans l’immédiat… » […]

Sur ce plan des acquis on relève, entre autre, ceci :
[…] « L’ensemble des travailleurs est parvenu à arracher une augmentation de salaire relativement importante, environ 7 % du revenu national d’une année. Voilà un point extrêmement positif. Mais les prix commencent à augmenter et ce n’est pas fini… » […]
Et l’article continue en énonçant tout ce qui n’a pas été acquis : retour à la semaine de 40 heures, cadences de travail, avancement de l’âge de la retraite, l’échelle mobile des salaires… Il y a une très forte insistance sur les hausses de prix en cours, ou à venir, et qui vont annuler les augmentations acquises…

« Sur le plan de nos catégories nous assistons au même phénomène. Nous avons obtenu d’importantes augmentations de salaires par les négociations Fonction Publique, 13% environ… Cependant nous savons déjà qu’une bonne partie de ces augmentations seront perdues dans les hausses de prix […] au niveau de nos revendications catégorielles, rien n’a été fait ».

L’article souligne encore (à juste titre) toutes les manœuvres gouvernementales (élections législatives, actions idéologiques...) pour reprendre les choses en main et récupérer les acquis obtenus.

Pour mémoire, après la dissolution de l’Assemblée Nationale les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 voient une importante défaite des partis de gauche : le PC perd 39 député·es, la FGDS 64, la majorité présidentielle obtient 354 sièges sur un total de 487.
L’article se termine par une note plus mobilisatrice :
[…] « La puissante grève que nous avons menée, nous a permis de renforcer considérablement nos rangs » […]
[…] « Ce mouvement que nous avons connu est très positif car il nous fait comprendre le sens de la bataille à mener… Organisons nous, mobilisons tous nos collègues » […]

Cependant, à la page 5 du même bulletin, un article de notre regretté camarade Jacques Dagbert, « Conservons notre acquis » positive bien plus directement les luttes menées et les acquis de ces luttes. (Entre autres, le syndicat peut alors se prévaloir d’environ 4000 syndiqué·es…).

Était-ce pour pondérer le premier article ? Car, ainsi que je l’ai souligné précédemment le premier bilan avancé me parait très ambigu et bien peu mobilisateur… Il est vrai que si l’on essaie de se replacer dans le contexte d’alors, et, vue la courte existence du syndicat, un chamboulement tel ne dût pas être facile à assimiler.

Dans l’Echo du Supérieur de janvier-février 1969 (le bulletin du syndicat semble être édité tous les 2 mois mais il semble en manquer pas mal !... et, d’autre part, c’est le dernier bulletin en notre possession imprimé de cette manière, constitué de 4/5/6 feuilles agrafées. Les bulletins suivants, en notre possession, sont imprimés différemment et pliés et non plus agrafés – voir exemplaires en annexes.), dans cet Echo du Supérieur donc, un éditorial « Non à l’austérité » confirme toutes les appréhensions de régressions sociales exprimées précédemment avec un appel à l’action initiée par la Confédération : « en faisant progresser l’Unité d’Action Syndicale et l’exigence d’un FRONT SYNDICAL COMMUN.  » Cette dernière exigence étant de plus en plus souvent avancée dans les différentes propositions du syndicat.

Les trois autres bulletins de septembre, octobre et décembre 1970 sont dédiés à la préparation et au compte-rendu du VIIème congrès national (20-21 novembre 1970 à Paris).
Ce septième congrès est intéressant de plusieurs points de vue :

  • il nous informe sur les prises de position et sur les orientations prises au congrès précédent, octobre 1968.
  • Il est un moment charnière de l’évolution du syndicat déjà fortement induite par le congrès précédent : changement de secrétaire général, changement de sigle, de SNPES on devient SNPESB, prise en compte statutaire des personnels de Bibliothèque ; pour la première fois, semble-t-il, de façon aussi détaillée, des documents préparatoires sont transmis aux syndiqué·es ; une assez profonde organisation fonctionnelle est mis en place : une Commission Exécutive très élargie remplace l’ancienne Commission Administrative ; les orientations et revendications sont mieux définies.

Pour ce qui est des prises de position et pour ce qui nous intéresse autour de Mai 1968 on relève une meilleure reconnaissance des acquis positifs résultant des luttes :
« Ce qu’on a appelé les évènements de mai 1968, d’où devraient sortir des avantages appréciables pour les travailleurs :

  • Augmentation des salaires
  • Reconnaissance légale de la Section Syndicale d’Entreprise et d’Établissement dans la fonction publique
  • Extension des droits syndicaux
  • Loi d’orientation de l’Enseignement Supérieur
  • Ouverture des négociations sur les principaux problèmes posés… ».

Pour ce qui concerne le désarroi précédemment souligné, on relève dans ces mêmes documents préparatoires : « Cependant, de cette période, il restait dans l’esprit de quelques camarades une certaine confusion. Ce ne fut pas le moindre mérite de notre congrès (d’octobre1968) de contribuer en explicitant les idées et les positions de la CGT, à la compréhension de ces évènements et des perspectives nouvelles ouvertes… ».

Que conclure à partir de tous ces éléments ?

  1. Il manque, très certainement, beaucoup d’informations qui ont dû être diffusées durant ces périodes. Il est peut-être possible de découvrir de « nouveaux anciens » documents et donc, toutes les relations et analyses faites dans le document présent peuvent (et doivent…) être précisées, améliorées et même contredites… si nécessaire.
  2. On assiste à la naissance et la constitution d’une organisation syndicale faisant apparaître les difficultés, les hésitations, la solidarité des organisations CGT déjà existantes, et la rapide croissance en termes d’adhésions. L’évolution organisationnelle est réalisée en permanence, on voit se construire l’organisation. On devine, mais on devine seulement, la forte implication, motivation, et la volonté d’arriver à peser positivement dans la défense des travailleur·ses et du service public de ces premières et premiers militant·es de notre syndicat.
  3. Même si l’histoire ne se répète pas ou qu’elle fait semblant de bégayer... On a l’impression par moment de citer des faits d’aujourd’hui. Parlant de l’Université et des luttes autour, par exemple :
    […] « grèves de 3 jours des professeurs et étudiants »… durant lesquelles intervenaient déjà « Matraque en main des groupuscules fascisant de droite et d’extrême droite » […]
    […] « Cette réforme n’est en fait que le renforcement ou la mise en place d’une série de filtres, de tamis, destinés tout au long de l’échelle à éliminer les enfants des classes les plus déshéritées » […]
    Les « réformistes modernistes » d’aujourd’hui n’ont guère beaucoup progressés...
  4. Même en considérant les faits à partir d’une organisation en constitution on relève de multiples indices (développement de luttes, fort mécontentement, élections législatives de mars 1967 … on précise même « Le pouvoir gaulliste est aux abois ») qui montrent que mai 1968 n’est pas parti de rien comme on a voulu parfois le laisser entendre.
  5. On peut relever, aussi, une forte insistance, souvent répétée de volonté d’unité syndicale et même des adresses syndicales pour construire une unité politique des partis de gauche au moment des élections législatives.
    Est-on déjà dans la perspective du Programme Commun ?
  6. On a l’impression que certains militant·es ont été désorientés par ces luttes ainsi que par les résultats obtenus. Certaines parties de l’analyse réalisée à chaud ne sont pas très mobilisatrices pour la suite…
    Il semblerait qu’il ait fallu pas mal de temps pour réellement « digérer » tout cela.
  7. On relève des embryons d’idées (statut unique, rôle des personnels « non enseignant·es » dans l’enseignement supérieur en lien direct avec le rôle des enseignant·es-chercheur·ses et donc peut-être lié à la syndicalisation CGT des enseignant·es ?) qui vont par la suite devenir des « fondamentaux » de notre organisation.

Il est possible, en tous cas, d’en faire l’hypothèse car mai 1968 n’a pas seulement été le moment de grandes luttes et d’acquis positifs pour « la classe laborieuse » mais aussi le moment de « Tout le pouvoir à l’imagination », « Faire de l’idée un tourbillon », « Ne me libère pas, je m’en charge » ainsi que l’affichaient certains slogans.
« On ne sait d’où cela vient, [dit Michelet], la température a changé. Qu’est-ce là, C’est ce qui trouble et fond les cœurs, c’est un souffle de jeunesse » (Histoire de la Révolution Française)

Guy BEGUERIE (avril 2018)

NB : les parties en italique sont des extraits prélevés dans les divers documents utilisés.

Mon mai 68

Ce texte est rédigé comme un post-scriptum à l’histoire de notre organisation syndicale dans l’ESR, de sa création à mai 1968.
S’il y est retracé cette naissance et son développement, qu’en sera-t-il de son émancipation, dans un contexte nouveau, résultant de l’histoire courte mais passionnante d’un éveil croisé d’une jeunesse frustrée de l’interdit, du manque d’initiatives et de démocratie, d’imagination aussi, et d’un monde du travail avide de s’émanciper d’un monde aux droits étriqués et d’une exploitation sans honte et sans frontières ?

Moi qui étudie la Philosophie à la Sorbonne en 1968 et qui me retrouve Secrétaire du syndicat CGT des personnels de l’Université Paris 13 en 1976, j’ai vécu les choses un peu différemment (en fait, un peu décalées) et ferai témoignage des événements un peu comme un pont entre les deux mondes qui n’ont jamais, selon les médias d’hier et d’aujourd’hui, réussi à se mettre au diapason. Quoique !

Là où tous se rejoignent, c’est pour souligner le bouillonnement d’idées qui a agité et inspiré le mouvement populaire qui est né de ce fameux « mai 68 ». La première image que j’en garde est celle de la cour de la Sorbonne où j’arrivai pour un cours et qui sera vite enfumée par les bombes lacrymogènes des CRS, postés là pour nous « juguler ». Pourquoi ? Je ne le saurai jamais car les yeux en pleurs, j’ai commencé par chercher une main amie qui me sortirait de ce cauchemar. Je l’ai trouvée car ce temps, au contraire de celui qui a précédé, a été celui de la solidarité et du souci des autres.

Il est certain qu’à cette époque, les personnels de l’université se composaient d’une part des Professeur·es, super mandarins faisant cours devant un amphi de 500 ou 1000 étudiant·es et inaccessibles ou presque, des Maîtres Assistant·es qui attendaient que la place soit libre pour y postuler et les personnels Administratifs qui … n’existaient ni pour les profs, ni les étudiant·es.
Le modèle hiérarchique était tout puissant au profit de la notoriété scientifique et de la suprématie du sexe fort, éclairé, intelligent et condescendant.

C’est justement ce modèle social bourgeois et oppressant qui fut à l’origine d’une contestation dans tous les pays développés ; beatniks puis hippies ont tracé les voies de l’exigence des jeunes (au moins) de trouver d’autres voies de vie personnelle, sexuelle, sociale, politique et culturelle.
L’autonomie, le doute et la quête furent ainsi des fenêtres ouvertes largement sur l’avenir. Un avenir à portée de main si l’on s’en donnait la peine.
Ce fut là le trait d’union naturel qu’ouvrirent les étudiant·es et les travailleur·ses dans leurs luttes qui se voulaient communes pour exister et résister devant toutes les formes d’oppression.

N’oublions pas que peu d’années avant, la guerre d’Algérie mettait dans les rues des milliers de manifestant·es. Le 8 février 1962, une manifestation contre l’offensive terroriste de l’OAS se heurte à la violence voulue de l’État. A la station de métro Charonne, devant les portes fermées du Métro, on relèvera 9 mort·es sous les coups de la police. Cinq jours après, l’enterrement de ces victimes de la barbarie a regroupé plus d’1 million de manifestant·es…

On ne peut pas nier que ce mouvement d’ampleur par sa nature-même n’a pas duré si longtemps puisque les élections de juin 1968 ont donné à la droite une forte majorité.
Malgré cela, les acquis sociaux, les réponses, même imparfaites, aux revendications et aux aspirations exprimées, ont apporté aux mentalités et aux pratiques sociales de profondes modifications qui ont mis longtemps à être vraiment mesurées.

J‘ai encore en tête et au cœur l’aventure féminine de cette période. Tout ne fut pas à mon goût dans l’effervescence que le MLF, par exemple, a manifestée mais, au centre des préoccupations des femmes et des filles d’alors, c’est bien de liberté qu’il s’agissait et de droits à conquérir pour décider de sa vie et de son corps. Que Gisèle Halimi, cette icône de la lutte du peuple algérien pour sa libération, soit une grande figure des luttes pour les droits des femmes, réduites à un rôle social subalterne, n’est pas surprenant. Au fond, les luttes contre toutes les formes d’aliénation se rejoignent à un moment et participent, peu ou prou, à l’amélioration des pratiques de tou·tes et des rapports sociaux.
C’est bien le cas des luttes menées en mai 68 et dans leur prolongement.

Dans notre secteur, c’est le cas de la loi Faure, loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968, qui crée des établissements d’un type nouveau : « les établissements publics à caractère scientifique et culturel » (EPSC).
Les grands principes mis en œuvre par cette loi sont l’autonomie, la participation et la pluridisciplinarité.

  • L’autonomie des universités tient tout d’abord au fait qu’elles sont chargées de déterminer leurs statuts et leurs structures internes.
    Par ailleurs, elles jouissent de l’autonomie pédagogique : le contenu des programmes, les programmes de recherche, des méthodes pédagogiques et les modalités de contrôle des connaissances sont fixées par les EPSC eux-mêmes.
    Les EPSC disposent d’un crédit d’Etat global de fonctionnement, qu’ils sont eux-mêmes chargés de répartir, le contrôle financier ne s’exerçant qu’a posteriori.
    Ce principe d’autonomie est toutefois fortement encadré :
    • les prescriptions incluses dans la loi et ses décrets d’application encadrent l’autonomie statutaire ;
    • est maintenu le cadre national des diplômes dont les conditions d’obtention restent de la compétence du ministre chargé de l’enseignement supérieur.
  • Le principe de participation est réalisé par l’élection de conseils chargés d’administrer les EPSC et les UER n’ayant pas le statut d’EPSC, principalement par le biais de leur composition. « Les conseils sont composés dans un esprit de participation par des enseignants, des chercheurs, des étudiants et par des membres du personnel non-enseignant ». Les statuts doivent également prévoir « la participation de personnes extérieures choisies en raison de leur compétence et notamment de leur rôle dans l’activité régionale ». Il convient de noter que la représentation de ces différentes catégories est encadrée et précisée par plusieurs dispositions de la loi.

La loi d’orientation a également mis en place de nouvelles instances consultatives :

  • le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) qui comprend des représentant·es élus des enseignant·es et des étudiant·es, des universités et des autres établissements d’enseignement supérieur, ainsi que pour un tiers des personnalités extérieures représentant « les grands intérêts nationaux » ;
  • les conseils régionaux de l’enseignement supérieur et de la recherche (CRESER). Les dispositions relatives à ces derniers sont cependant restées sans portée pratique.

Enfin, la loi pose le principe de la pluridisciplinarité des universités, de manière à mettre fin au « cloisonnement » des anciennes facultés. Elle dispose ainsi que les universités « doivent associer autant que possible les arts et les lettres aux sciences et aux techniques », tout en leur accordant la possibilité d’« avoir une vocation dominante ».

Même si les conséquences de cette nouvelle loi n’ont pas été tout de suite mesurées, cette réforme fut, à l’instar des nouveaux droits des salarié·es dans l’entreprise, pour les personnels, étudiant·es et enseignant·es-chercheur·ses une réponse à l’énorme demande de reconnaissance : la nouvelle « communauté universitaire » pourra s’organiser et participer pleinement à l’orientation et au fonctionnement de son établissement…

Cette nouvelle pratique, avec tout ce qu’elle va permettre à chaque membre de la communauté universitaire, va libérer les pratiques pédagogiques, politiques et syndicales de l’ensemble des étudiant·es et personnels.

Quand j’entrerai dans l’ESR, début 1976, l’Université de Villetaneuse a 4 ans (elle est la dernière université France-Îlienne, née des luttes de 1968) et n’a plus rien à voir avec la Sorbonne de mes 20 ans.
Les syndicats sont présents et actifs, la CGT compte une bonne centaine d’adhérent·es, le PCF s’est organisé sur 2 cellules, l’Union de la gauche commence à faire son sillon et les débats sont presque aussi vifs que quelques années plus tôt.
En même temps, le fait syndical a conquis ses lettres de noblesse : nous jouissons à ce moment-là d’un respect qui fait de nous (syndicats des personnels et des étudiant·es) des interlocuteur·trices incontournables dans la vie de l’établissement.

Dans les années 80, nous aurons même un vice-Président étudiant et une vice-Présidente de l’Université, dirigeante du syndicat CGT.
L’expérience s’avérera suffisamment difficile pour ne pas renouveler l’expérience, pour le syndicat CGT et, surtout, pour l’équipe de Direction de l’Université.

Sur les revendications spécifiques des personnels ATOSS, l’exigence de reconnaissance du rôle social et professionnel a joué un rôle très important et a trouvé dans l’ensemble des réflexions de la CGT un écho et un appui considérable.
Notre revendication d’un statut unique des personnels « non enseignant·es » de l’Agent·e de service à l’Ingénieur·e sera portée au sein de la « Mission Jantet » diligentée dès 1982 et trouvera sa concrétisation dans un plan de titularisation directe dès 1985 qui répondait à la vive implication des personnels dans leur mission publique. Ce plan et les suivants ne permettront pourtant jamais de contrer la puissante offensive de précarisation des agent·es présents sur nos campus (environ 50% aujourd’hui).

Nous sommes aujourd’hui dans une période qui peut s’apparenter à mai 1968.
Mais, s’il est vrai que des points communs existent (universités occupées, luttes contre la sélection et la ségrégation sociale et luttes syndicales de grande ampleur, aspiration à mieux vivre, à la solidarité, contre la pauvreté et l’exclusion, etc.), il est bien clair que les partis de gauche manquent de lisibilité, que les syndicats sont divisés et que la violence civile et d’État n’a pas atteint une tel niveau depuis longtemps. Malgré l’exaspération de la quasi-totalité des couches de la population, la politique de la peur et du bouc émissaire continue de faire merveille. La peur de l’autre reprend de la force.

En conclusion de ces quelques réflexions très personnelles, j’en conviens, et très incomplètes, j’ai le sentiment que nous manquons cruellement du ciment collectif et solidaire qui, malgré les discours officiels, n’ont pas fait défaut aux travailleur·ses et à chaque membre de cette société en mutation, jeune ou vieux, femme ou homme, de mai 1968.

Sachant que nous fêtons aujourd’hui le cinquantième anniversaire de cette période fleurie, je pense qu’il faudra la même imagination, la même patience et le même entêtement qu’alors pour voir renaître l’espoir de peser un jour suffisamment sur l’histoire pour qu’elle change de cap.

Marie-Claude Charrier