Société

 Parole à... Mélinée Manouchian

 

Où es-tu née ?

En 1913 à EREVAN en Arménie

Tu as quitté ton pays à l’âge de 2 ans, pourquoi ?

Mes parents sont tués au cours du génocide [1] arménien en 1915, ils sont tués par les soldats de l’empire Ottoman. Nous étions une minorité chrétienne dans un empire musulman, il y avait une volonté de purification ethnique. Après un périple en Grèce comme réfugiée, j’arrive en France en 1926 avec ma sœur Arméne à Marseille

En France, tu rencontres Missak Manouchian, a quelle occasion ?

En 1935, au cours d’une réunion du parti communiste, on participe aux manifs de 1936 et on se marie en février 1936.

Au cours de la 2nde guerre mondiale, tu choisis la clandestinité et la résistance, pourquoi ?

Nous étions deux orphelins du génocide, nous n’étions pas poursuivis par les nazis. Nous aurions pu rester cachés, mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de juif·ves par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes allemands qui encadraient l’armée turque lors du génocide arménien.

L’affiche rouge*, c’est quoi ?

C’est une affiche de propagande nazie qui regroupait 10 visages, collée sur les murs de Paris et d’autres villes, avec comme titre « des libérateurs ? ». Elle a été collée au moment du procès du groupe Manouchian en février 1944. Il s’agit d’une mise en scène publique « orchestrée » par le régime de Vichy contre les immigré·es.

Pourquoi ce procès ?

Plusieurs membres du groupe Manouchian et d’autres résistant·es sont arrêté·es en nov. 1943 pour avoir tué plusieurs soldats allemands dont le commandant Julius Ritter. Ces attaques avaient lieu en pleine rue avec peu d’armes que nous avions à notre disposition. Ils et elles seront arrêté·es par la police française après une filature. Pendant 4 mois à Fresnes, ils et elles seront torturé·es et finalement exécuté·es le 21 février 1944 au Mont Valérien sauf Olga [2] qui sera décapitée en Allemagne.

Tu rentres au panthéon au mois de février 2024, pourquoi ?

A l’occasion des 80 ans de l’affiche rouge et de l’exécution des résistant·es arrêté·es en novembre 43. Je rentre avec Missak puisque nous sommes réunis depuis 1994 sous la stèle des militaires morts pour la France du cimetière d’Ivry.

Qu’en penses tu ?

C’est la reconnaissance du groupe Manouchian et des résistant·es apatrides, immigré·es qui appartenaient aux FTP MOI [3], par la France. Manouchian disait « je n’ai pas hérité la nationalité française mais je l’ai méritée ».

Résister c’est comme respirer ?

Dés mon enfance, j’ai compris que l’oppression peut être quotidienne, elle a plusieurs formes parfois elle se place entre groupes ethniques ou entre religions mais que…plusieurs fois, ma vie a été menacée parce que j’étais chrétienne, arménienne, communiste, immigrée, résistante. J’ai simplement fait le choix de la vie.


[1génocide : crime contre l’humanité tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ; sont qualifiés de génocide les atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, la soumission à des conditions d’existence mettant en péril la vie du groupe, les entraves aux naissances et les transferts forcés d’enfants qui visent à un tel but. (Larousse)

[2Olga BANCIC : née le 10 mai 1912 à Kichinev (Roumanie), guillotinée le 10 mai 1944 à Stuttgart (Allemagne) ; étudiante ; résistante FTP-MOI, la seule femme du procès dit de l’Affiche rouge. (Maitron)

[3Les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans de la main d’œuvre étrangère) sont issus de la Main-d’œuvre immigrée (MOI), une structure mise en place par le Parti communiste français dans les années 1920 pour encadrer les très nombreux étrangers travaillant en France. Dès que le Parti communiste français s’engage dans la lutte armée, en août 1941, les étrangers de la MOI ont constitué une part importante des forces mobilisées dans la région parisienne.