Formation professionnelle Numérique

 Quand « Big Data » s’attaque aux certifications !

 

L’offensive patronale contre les certifications publiques, qui constituent des repères en termes de classification et de salaires, n’est pas nouvelle.

Cependant, elle peut prendre un autre visage avec l’arrivée d’un certain environnement numérique sur le marché du travail. S’il est vrai que les offres d’emploi sur Internet fleurissent, s’en servir pour élaborer des référentiels d’emploi et de compétences peut s’avérer dangereux.

Oui, il y a un marché numérique du travail.

Lorsque Antoine Jouteau, le patron triomphant du « Bon Coin.fr » annonce qu’il est un acteur indispensable sur le marché du travail puisqu’il met en ligne plus de 250 000 annonces et qu’il y a 2,6 millions de visiteur·euses par mois, uniquement sur l’onglet emploi du site de brocante. Il a fait dire à Nicolas Sarkozy, ancien président, « c’est surprenant qu’il y ait autant d’emplois non satisfaits dans un pays qui compte 6 millions de chômeurs ». Ben voyons ! « Un utilisateur sur dix du Bon Coin va sur l’onglet Emploi », renchérit le directeur général.

Le Bon Coin est devenu le deuxième site de publication d’offres d’emploi en France, juste derrière Pôle Emploi !

Pas étonnant après que la loi de 2005 sur « la cohésion sociale » ait mis fin au monopole de placement de l’ANPE. Sauf que les offres ne sont pas validées, comme dans le Service Public pour l’Emploi, par un·e agent·e qui vérifie que les annonces ne sont ni discriminatoires, ni sexistes.

Les dérives sont possibles [1] et une rapide visite sur le site permet de constater, si ce n’est des « offres bidons », pour le moins des annonces qui ne correspondent pas aux requêtes effectuées. On retrouve donc massivement dans ces annonces les « soft-skills », c’est-à-dire le soi-disant « savoir être » et les bons comportements à tenir…

L’affaire n’est pas nouvelle. Monster et Cadremploi, par exemple, mettaient déjà en ligne les annonces presse, de fait payantes pour les employeurs, mais d’accès gratuit (c’est la loi) pour les candidat·es. Mais ces annonces via Internet reflètent une demande explicite des employeur·euses sur des compétences qui n’en sont pas. Connaître tel ou tel langage informatique, ne fait pas d’un·e candidat·e un·e informaticien·ne. Il est implicite que seuls les informaticien·nes répondent à une offre d’informaticien·nes.

On ne retrouve donc dans ces annonces, trop souvent, que la partie immergée de l’iceberg, les « soft-skills » (compétences comportementales, secondaires, relationnelles, …) qui sont discriminantes à l’embauche entre candidat·es égaux en termes de qualification toutes choses égales par ailleurs.

Compiler les offres Internet peut donc s’avérer dangereux. Que la recherche empirique compile les offres Internet pour construire des référentiels d’emploi et de compétences peut donc s’avérer dangereux au vu de l’hétérogénéité syntaxique et lexicale.

Ainsi la présentation par le CRISP [2], lors d’un séminaire au CEREQ [3], d’une tentative de classification des compétences, à partir de 2,3 millions d’offres sur Wolliby [4], ne peut qu’interroger ! Surtout si c’est « pour améliorer, l’offre de formation dans l’enseignement supérieur » (sic), bien entendu, mettre l’université au service des patrons, CQFD ! D’ailleurs la grande masse de données qu’offre « Big Data », si elle permet de grands processus automatisés, ne permet pas l’analyse qualitative qui reste une expertise de terrain auprès des travailleur·euses, même pour identifier le lien entre les compétences et l’emploi.

Les certifications publiques (telle que les diplômes et titres professionnels), fruit de conquêtes historiques [5] et du paritarisme (dans les Commissions professionnelles consultatives des ministères), sont des repères pour le/la salarié·e pour faire reconnaître ses compétences, elles mêmes répertoriées dans le ROME [6]. De l’aveu même des expert·es, il est bien difficile de faire le lien entre les offres d’emploi sur Internet et les 11 000 catégories référencées dans le ROME.


[1Des candidat·es se sont vu réclamer un CV, puis des papiers d’identité et un RIB

[2Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Services Publics – Milan

[4Portail Wollybi, de l’Observatoire du Laboratoire Numérique Tabulaex, spin-off Université de Milan-Bicocca

[5Les arrêtés Parodi de 1945 déterminent une grille de classement des ouvrier·es dans le but de régler l’attribution des salaires

[6Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois