Société

 Comment la CGT peut-elle s’adapter aux réalités du salariat d’aujourd’hui ?

 

Ce n’est pas tous les jours que la CGT est l’objet d’une thèse de doctorat [1]. Surtout pas courant, que la recherche s’immerge [2] dans notre organisation pour en comprendre les structures. C’est chose faite, par un camarade précaire « doc sans poste » qui a soutenu le 13 décembre dernier sa thèse au LEST [3] d’Aix Marseille Université. 485 pages qui posent un débat qui nous concerne tou·tes et répondent à nos interrogations sur la « dépolitisation » des classes populaires.

Les difficultés que rencontre le syndicalisme de transformation sociale depuis quelques décennies sont-elles liées à la désindustrialisation et l’apparition du chômage de masse au tournant des années 1980 ? La perte de la « conscience de classe » est-elle la conséquence de la désouvriérisation des classes populaires généralement avancée pour expliquer l’affaiblissement de la CGT ?

La disparition des « grandes concentrations industrielles et la tertiarisation du tissu socio-productif ont en effet laissé apparaître des espaces vierges de tradition militante », où des salarié·es peu ou non-qualifiés sont « cantonnés à des postes subalternes sans aucune possibilité d’évolution, soumis à une étroite surveillance de la part de leur encadrement et par extension, à des traitements dégradants ; leur condition rappelle à bien des égards celle des ouvriers de l’époque taylorienne ».

Or, la CGT demeure aujourd’hui principalement implantée auprès « des fractions hautes et stables du salariat d’exécution », c’est-à-dire des salarié·es les mieux protégés travaillant dans le secteur public ou les grandes entreprises du privé.

Comment la CGT peut-elle alors se re-déployer « dans les secteurs plus précarisés du marché de l’emploi, marqués par l’absence de tradition militante (grande distribution, services à la personne, sous-traitance industrielle, etc.) » ?

En accueillant les précaires dans les UL comme on accueille dans l’entreprise :
« Alors qu’ils sont immergés dans des contextes de travail marqués par des rapports de domination autoritaires et qu’ils sont démunis […] pour recourir au droit, l’aide des militants leur permet de pallier cette vulnérabilité. La disponibilité, l’écoute et le soutien dispensés par ces militants, avec qui ils entretiennent une relation privilégiée, les rassurent pour affronter des agressions émanant de leur hiérarchie. Cette présence contribue alors à rendre les rapports de domination au travail moins intimidants ».

C’est donc au sein des UL, « structure organisationnelle de la CGT, les Unions Locales (UL) sont censées […] accueillir les salariés travaillant dans des entreprises démunies d’implantation syndicale, en vue de les aider à défendre leurs droits face à leur employeur et les encourager à s’engager syndicalement, en assurant leur formation à l’exercice de responsabilités de délégué. » que se joue l’avenir de la CGT, si elle veut coller à la réalité du salariat, ici et maintenant.

En étudiant le travail syndical mené dans les UL, le chercheur se propose ainsi d’éclairer en quoi ces structures peuvent offrir un support organisationnel à l’engagement et à la politisation des salarié·es de secteurs précarisés (caissier·es de la grande distribution, aides-soignant·es des Ehpad, ouvrier·e des sous-traitants etc.), et ainsi les aider à surmonter les obstacles qui se présentent à eux·elles sur leur lieu travail (collectifs éclatés, répression patronale, etc.)

En s’intéressant aux trajectoires des délégué·es travaillant dans ces secteurs, il montre aussi comment des salarié·es a priori peu disposés à s’engager syndicalement peuvent se reconnaître dans l’approche protestataire de la CGT dès lors qu’on leur en donne les moyens, grâce à l’accueil et la formation syndicale dispensés dans les UL.


[1Charles Berthonneau – « Les unions locales de la CGT à l’épreuve du salariat précaire : adhésion, engagement, Politisation », Thèse de l’Université Aix-Marseille – 2017

[2Enquête ethnographique dans deux UL

[3Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail