Dossier Lien n°207 - Recherche publique / recherche Privée
Le gouvernement s’acharne à mettre en place au plus vite la loi de programmation recherche, attaque frontale contre la recherche publique. Il est aux petits soins pour le patronat, persiste dans la volonté d’abolir les frontières entre public et privé, alors que la recherche demande du temps, de la stabilité, des personnels sous statuts et des budgets pérennes. Son asservissement à la compétitivité des entreprises nous entraine dans un maelström de recompositions permanentes, source d’inefficacité, de gâchis et de mal être au travail.
Loi de Programmation de la Recherche (LPR) : consultations et motions
Le 3e confinement a vu l’accélération des consultations (en visio) organisées par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) avec les organisations syndicales pour présenter les projets de décrets d’application de la LPR, avant la consultation formelle des instances représentatives.
Pas moins de 7 réunions des CT ministériel (CT-MESR) et universitaire (CT-U) sont programmées en juin ! Et la CGT attend encore d’être « invitée » aux séances du comité de suivi du protocole LPR après l’injonction du Conseil d’État au MESR lui rappelant qu’aucune organisation syndicale représentative ne peut être écartée de négociations touchant aux carrières, même si elle n’a pas signé d’accord.
Ces consultations et les projets de décrets confirment la pertinence de notre opposition frontale à la LPR depuis le début du processus. Le « CDI » de mission sera pire qu’attendu : non seulement ça n’est pas un CDI puisqu’il s’arrêtera à la fin du projet sans indemnité pour le/la contractuel·le, mais il pourra s’interrompre si le projet « ne peut pas se réaliser », faute de financement ou suite au départ du/de la porteur·se du projet. Dans un contexte de pénurie de postes, ce « CDI » de mission va prolonger ad vitam aeternam cette plongée dans la précarité d’une catégorie de travailleur·ses pourtant hautement qualifiés.
La création d’un contrat postdoctoral institutionnalise la quasi obligation pour un·e jeune docteur·oresse de « faire ses classes » dans la précarité avant toute idée de titularisation.
Ce contrat post-doc sera limité dans le temps, de un à 4 ans maximum,
renouvellement compris, et sans prime de précarité. Quant aux mesures d’accompagnement de fin de contrat, elles n’ont de sens que si des postes s’ouvrent enfin, ce qui ne fait pas partie de la LPR, bien au contraire (baisse du nombre de recrutements cette année) !
S’agissant des carrières, aucune révision de grilles (sauf la fusion IR2-IR1 pour les ingénieur·es de recherche), ni bien sûr de revalorisation du point d’indice. En guise de modeste contrepartie, des primes en hausse pour les chercheur·ses et enseignant·es-chercheur·ses, qui deviendront des primes au mérite dès 2022. La LPR harmonise les règles de reclassements entre chercheur·ses et enseignant·es-chercheur·ses. Les nouvelles règles, plus favorables, s’appliqueront dès 2021. Les collègues déjà en poste (recrutés depuis 2012) auront 6 mois après la sortie du décret pour demander un reclassement.
Les possibilités de promotions supplémentaires issues des repyramidages de la LPR vont conduire à une procédure locale particulière pour le passage de maitre·esse de conférence (MCF) à professeur·se d’université (PU), qui s’approchera d’une liste d’aptitude. Cette possibilité pourrait s’inscrire dans la durée, ce qui est un dossier à suivre de près. Ce pourrait certes être un moyen de corriger le sexisme ordinaire qui préside depuis toujours au passage dans le corps des PU (45 % de femmes chez les MCF contre 25 % seulement chez les PU), mais cela pourrait également renforcer l’arbitraire hiérarchique sans contrôle des pair·es.
La lutte continue : en complément de rassemblements devant le MESR à l’occasion des réunions d’instance, la CGT a proposé à l’intersyndicale de l’ESR l’adoption d’un maximum de motions au sein des établissements d’ESR, en particulier contre les « tenure tracks » qui constituent une remise en cause du statut pour les jeunes chercheur·ses, afin de rappeler la vaste opposition que rencontre la LPR au sein de la communauté.
Faire de la recherche dans l’enseignement supérieur privé ou la 5ème roue du carrosse
Les établissements privés où des recherches sont effectuées sont les écoles d’ingénieur·es et de commerce ainsi que les instituts et facultés catholiques.
De fait, ces structures collaborent avec des laboratoires de recherche des universités et/ou d’ingénieur·e et de commerce via l’intégration des enseignant·es chercheur·ses comme membres intégrés à ces laboratoires de recherche... ce qui revient à faire financer la recherche de ces personnels par des fonds publics et
dédouane bon nombre d’établissements privés de faire des efforts pour financer sur leurs fonds propres les travaux de leurs enseignant·es. Dans la réalité les budgets alloués à la recherche dans les établissements d’enseignement privés sont indigents, hormis quelques exceptions comme à HEC (École des hautes études commerciales) par exemple.
Si l’enseignant·e ne va pas chercher à l’extérieur de son institution une reconnaissance de son activité de recherche ... il ou elle vivote et ne peut même pas valoriser ses travaux ni participer à des colloques comme communicant·e, si ce n’est qu’exceptionnellement : les frais d’inscription, de déplacement et d’hébergement étant souvent prohibitifs. Et ce d’autant plus si le congrès se déroule à l’étranger.
Ajouter à cela que les charges de cours pèsent beaucoup plus qu’à l’Université : pour les enseignant·es travaillant dans l’enseignement privé non lucratif (EPNL : les instituts catholiques) cela correspond à entre 60 à 80 % du temps de travail, et environ 60 % dans l’enseignement privé indépendant.
Cela est théorique parce que dans la réalité, la charge de travail des enseignant·es chercheur·ses est établie d’abord en commençant par l’attribution des cours, TD ou TP et responsabilités pédagogiques (coordination d’années, responsabilité du suivi des stages), et s’il reste du temps... on complète en y intégrant le temps de recherche.
Bien souvent l’activité scientifique relève de l’affichage : ainsi à Angers, l’UCO indique réunir 215 chercheur·ses et chercheur·ses associés soit 12 équipes de recherche qui affichent à leur actif 3 contrats de recherche dont un est porté en réalité par l’UMR ESO et 8 projets de recherche. Un bien piètre bilan !
Il va sans dire que les revendications du SNPEFP-CGT portent sur un vrai statut d’enseignant·e chercheur·se avec au minimum 50 % du temps de travail consacré à la recherche et des moyens matériels pour l’effectuer dans des conditions satisfaisantes.
Opération Saclay et vente au privé du domaine historique AgroParisTech de Grignon
Fin mars les étudiant·es d’AgroParisTech ont organisé un blocus du campus de Grignon. Ce site historique doit être vidé des étudiant·es et des équipes de recherche en 2022, l’ensemble des activités étant déménagé sur Saclay.
Les étudiant·es contestent la procédure de vente du site car elle s’organise dans la plus totale opacité, et risque de céder le site au plus offrant et/ou à des projets ne respectant ni le patrimoine historique du site, ni son intérêt écologique. Il est symptomatique que ni le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, ni celui de la Transition écologique ne participent au jury de la vente du domaine de l’école (parc clos de murs, champs, forêts, labos, hébergement pour 300 étudiant·es et château Louis XIII). Seul Bercy contrôle cette vente.
La liquidation du site de Grignon est une des dernières conséquences de l’opération de « prestige » initiée par Sarkozy et poursuivie par Hollande puis Macron pour mettre en place l’université supposée d’« excellence » de Saclay. N. Sarkozy et
V. Pécresse considéraient ce montage comme un des fleurons de leur politique recherche.
Dès fin 2009, alors que le gouvernement lançait la mise en place de l’Université Paris-Saclay dans le cadre de la politique des Initiatives d’Excellence (IDEX), la CGT INRA posait le problème du devenir de l’INRA, de sa politique de recherche et de ses personnels versés au sein d’une ComUE (Communauté d’Université et d’Établissements) avec de ce fait une nouvelle tutelle. La ComUE Paris Saclay connaitra bien des soubresauts liés aux volontés d’indépendance de l’École Polytechnique, avec, au final, l’éclatement en deux groupes d’établissements séparés, les grandes écoles ne souhaitant pas se « mélanger ».
En 2012, après le changement de président, nous demandions un moratoire sur le projet : demande restée lettre morte, le gouvernement Ayrault le reprenant à son compte.
En mars 2015, les Conseils d’Administration d’AgroParisTech et de l’INRA votaient le principe du déménagement, contre l’avis de la quasi-totalité des représentant·es des étudiant·es et des personnels des deux établissements. Le vote était acquis grâce à des membres nommés aux ordres, montrant un mépris total de la situation des personnels embarqués de force dans l’opération.
Début 2018 le sujet du déménagement revenait sur la table avec la question des délais d’arrivée du métro censé desservir le campus.
La CGT prenait sa part dans le combat contre le déménagement, combat associant déjà l’ensemble de la collectivité concernée, étudiant·es, personnels AgroParisTech et INRA.
Tout au long de ce processus, depuis plus de dix ans, les maîtres mots dans la conduite du projet par les gouvernements successifs ont été la violence dans l’application d’un schéma issu d’une vision dogmatique et archaïque de la recherche (obsession du classement de Shanghai, concentration spatiale dans des clusters) et le mépris des personnels. Le fonctionnement des équipes de recherche a été fortement impacté avec fusions d’unités en perspective de regroupement sur Saclay. Le départ en nombre de personnels (20 à 30 % sur les 350 devant déménager), l’abandon de laboratoires récents (de 2002 et 2009) et la perte de terres expérimentales précieuses représentent un gâchis inestimable.
Avec leur courage et leur détermination, les étudiant·es d’AgroParisTech mènent aujourd’hui un combat nécessaire pour éviter une des conséquences du projet Saclay : la dégradation voire la perte d’un site unique par son patrimoine historique et naturel.
Sanofi : le profit au détriment de la santé de la population
Pour répondre à la logique de profit et satisfaire les actionnaires, Sanofi supprime des emplois au détriment de la santé de la population.
Le 5 février, Sanofi annonçait une augmentation de ses bénéfices nets de 12,3 milliards d’euros en progression de 340 % dont une bonne partie provient de la vente de Regeneron, une entreprise de biotechnologie qui développe des anticorps de synthèse pour soigner le Covid-19 et dans le même temps supprime des emplois.
Cette entreprise verse près de 4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2020, une somme multipliée par 4,5 en 15 ans ! Dans le même temps elle ne cesse de licencier : les effectifs de recherche de Sanofi ont été divisés par deux en 10 ans. En pleine crise sanitaire, Sanofi vient d’annoncer la suppression de 1600 postes, dont 364 postes Recherche et Développement (R&D) en France. Comment peut-elle encore bénéficier d’aides publiques et en particulier du Crédit Impôt Recherche (CIR - 130 millions d’euros par an depuis plus de 10 ans) ? Le montant du CIR, 6 milliards €/an, fait partie de l’investissement consenti par les gouvernements successifs pour essayer d’atteindre leur engagement des années 1999/2000 de consacrer 3 % du PIB (produit intérieur brut) pour la recherche (1 % pour le public, 2 % pour le privé). Malgré cela, la France ne consacre que 2,2 % de son PIB à la recherche.
La politique de Sanofi montre de façon éclatante l’inefficacité de ces aides publiques, sans évaluation ni contrepartie, aux grands groupes industriels, aides publiques qui leur servent essentiellement à accroître leurs profits. Ces grands groupes pharmaceutiques, tout en s’appuyant de plus en plus sur des brevets directement issus de la recherche fondamentale menée dans la recherche publique via des start-ups créées spécialement à cet effet, liquident dans le même temps leurs secteurs R&D. De son côté, le gouvernement, via la Loi de Programmation de la Recherche (LPR), voudrait que les personnels de la recherche publique se réorientent vers l’innovation, au détriment de la recherche fondamentale pour permettre aux groupes privés de faire leur marché. Il s’agit de socialiser les risques et de privatiser les bénéfices.
L’épidémie Covid-19 a révélé à quel point ces orientations sont délétères pour la population. Plusieurs chercheur·ses ont dénoncé combien la recherche fondamentale en épidémiologie et virologie avait été mise à mal ces dernières années en raison du système de recherche sur projets à court terme.
Il est grand temps d’investir massivement dans la recherche publique et de reconstruire un outil industriel stratégique capable de répondre aux besoins de la nation. Nous revendiquons que les brevets des vaccins tombent dans le domaine public et la réquisition des lignes de production des entreprises pharmaceutiques pour produire des vaccins en quantité suffisante pour toute la population. Nous devons aussi nous interroger sur la réquisition et les moyens d’appropriation de l’outil industriel.
La CGT revendique un pôle public de santé dans lequel se situe l’industrie du médicament. Le médicament doit-il être un bien commun ou un bien public ? En réalité ces notions sont souvent utilisées en terme de slogan, mais sans vraiment d’explications sur ce qu’on met derrière. Des camarades en particulier du secteur privé sont souvent hostiles à la nationalisation de leur entreprise. Il faut débattre entre les militant·es des différents champs de la CGT pour sortir des constats largement partagés afin d’être en capacité de construire une société au service du bien commun.