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 Alternance : lettre ouverte à Emmanuel Macron Président de la République

 

Lettre ouverte du syndicat national des personnels de l’enseignement et de la formation privé et du syndicat national des agents consulaires et de l’apprentissage.

M. Le Président,

Mercredi 22 mars 2023, vous annoncez votre souhait de poursuivre rapidement votre programme réformiste suite à l’utilisation du 49.3 en faveur de votre réforme des retraites. Vous évoquez l’alternance comme levier pour le plein emploi. C’est la première fois qu’un président de la République porte la voie de l’apprentissage et de la formation professionnelle comme une voie d’excellence alors que ce format d’éducation a été méprisé pendant plusieurs décennies.

Depuis 2018, l’apprentissage est devenu un des outils « d’excellence » de votre politique de plein emploi avec la loi relative à la « Liberté de choisir son avenir professionnel » et la création en 2019 de France Compétences qui assure le financement, la régulation et l’amélioration du système de la formation professionnelle et de l’apprentissage. En effet, les CFA sont financés par les onze Organismes de Compétences - OPCO et une aide de 5 000 € à 8 000 € est accordée aux entreprises pour les contrats en alternance. Entre 2019 et 2022, le nombre de contrats d’apprentissage a plus que doublé en France pour atteindre 837 000 cette année.

En cinq ans, malgré ce résultat quantitatif, cette réforme est devenue coûteuse pour les finances publiques avec un déficit structurel dû à l’absence de régulation des aides aux entreprises et du Niveau de Prise En Charge (NPEC) des coûts contrats apprentissage avant septembre 2022. Les obligations légales ont été appliquées sans discernement. Suite à la baisse du NPEC, certains CFA ont déjà annoncé ou acté la fermeture de formations dans des secteurs en tension. Pourtant, si un apprenti coûte bien de l’argent à l’État, il y a un retour sur investissement : pour 1 euro investi dans l’apprentissage, l’État perçoit 1,21 € .

Cet effet d’aubaine a également créé des dérives avec des « emplois » occupés par une succession d’apprentis et de stagiaires au détriment du marché des jeunes diplômés. Vous vous félicitez d’avoir atteint un nombre record de contrats mais le chômage des jeunes de moins de 25 ans est resté au même niveau entre décembre 2019 et décembre 2022. La distribution de primes sans régulation a permis aux entreprises de tester et de relancer le dispositif d’aide autant de fois qu’elles le souhaitaient et de créer ainsi un turn-over de l’alternance grâce à la période d’essai et une main d’œuvre gratuite ou quasi gratuite pour le patronat, sans contrôle ni contrepartie. On peut légitiment se demander quel temps de formation et quels personnels, les entreprises ont elles véritablement à mettre à disposition des jeunes pour les former ?

En février 2022, l’Association nationale des apprentis de France - ANAF - a fait 24 propositions mettant en lumière les difficultés financières et d’hébergement d’une partie des jeunes qui ont choisi la voie de l’alternance. À moitié étudiant, à moitié salarié, selon leur âge et leurs années d’études, les apprentis ont des revenus précaires compris entre 27% à 53% du SMIC (en première année par exemple). La fonction publique qui emploie également des alternants est dépourvue d’OPCO donc, pour eux, il n’y aucun financement. Contre toute attente, le ministère du Travail considère que dans la fonction publique « les apprentis ont un contrat de travail et un salaire. On ne peut pas parler de modèle précaire ».

Depuis la réforme, de nombreuses régions ont supprimé les fonds sociaux pour apprenti, qui permettaient notamment de soutenir les ruptures de parcours. Or un apprenti sur cinq ne va pas au terme de son contrat d’apprentissage. Un quart abandonne définitivement l’apprentissage en cours de formation tandis que 40 % des apprentis sortants repartent en formation à la fin du cursus. Selon France Compétences, il y a plus de 31% de ruptures de contrats chaque année. Un apprenti licencié ou démissionnaire peut signer un nouveau contrat la même année et donc correspondre à plusieurs contrats recensés pour une même période. Alors, pourquoi parler en nombre de contrats et non pas en nombre d’apprentis puisque le nombre réel d’apprentis est inférieur à un tiers au nombre de contrats ?

Le coût de formation est moindre pour un CFA que pour un Lycée Professionnel. Cette différence de coûts est avant tout artificiellement maintenue par des salaires indignes et des dotations aux établissements de formation bien moindres que dans les Lycées Professionnels. Jusqu’en 2019 la qualité était malgré tout maintenue par des effectifs de classe plus réduits et une sélection des apprentis par leurs employeurs. Mais depuis ces deux facteurs sont à présent annihilés par la massification de l’alternance, tandis que l’inflation combinée au gel des salaires entraîne une chute des vocations qui menace le fondement même de la qualité des formations. C’est par exemple le cas chez l’un des acteurs majeurs de l’apprentissage que sont les CFA des Chambres de Métiers et de l’Artisanat, qui subissent la double peine de voir leurs ressources et leurs missions régaliennes régulièrement rabotées par votre gouvernement. Et en même temps depuis 2022, ce même gouvernement suggère de poursuivre les mesures amorcées en 2018 avec le lycée professionnel qui concerne un tiers des lycéens. Ces mesures évoquent la densification de la dimension professionnelle de la formation, ce qui induit que le lycée professionnel pourrait passer ainsi sous la double tutelle du ministère du Travail et de l’Éducation nationale comme c’est déjà le cas pour les CFA et les organismes de formation. Vouloir massifier c’est nier les singularités et attaquer à nouveau l’éducation dans son ensemble avec ses différents statuts privé et public, c’est poursuivre la dégradation de la formation complète culturelle, technique et professionnelle. La formation en alternance n’est pas seulement celle de l’apprentissage du seul geste professionnel ou de la seule compétence, apprise sur le tas, en contexte de travail. Elle est aussi pédagogie/andragogie qui encourage un environnement d’apprentissage coopératif, développe la pensée critique et l’aptitude à communiquer efficacement, à innover et à résoudre les problèmes par la négociation et la collaboration. Elle est la compréhension théorique et l’application pratique de l’apprentissage.

En focalisant sur l’emploi potentiel des futurs diplômés, le gouvernement continue d’occulter ces autres aspects fondamentaux de la mission éducative et précarise l’ensemble des statuts et niveaux de recrutement des professionnels de l’éducation et de la formation. Les statuts sont systématiquement mis en concurrence. Ceci débouche sur des inégalités de traitement et de salaire que ce soit pour les enseignants-formateurs ou pour les alternants. La vision entrepreneuriale de l’éducation et de la formation professionnelle ruine la valeur des diplômes au profit de la Certification - Qualification Professionnelle et du système de bloc de compétences qui ne permettent pas de reconnaître l’expérience en cas de changement d’emploi ou d’employeur.

Si votre ambition quantitative est acquise, c’est maintenant celle de la qualité qui se joue et cette question s’impose dans le débat public lorsqu’on se réfugie derrière la sacro-sainte norme Qualiopi, ne reposant que sur des process et des normes infantilisantes pour les professionnels de l’alternance. Dans le même temps, Qualiopi, qui ne cache pas son inspiration néo-libérale, envisage l’éducation et l’insertion professionnelle des jeunes en termes de « besoins des clients, de professionnalisation de la réponse et de service après-vente » ! On est loin de l’émancipation par la connaissance et de l’intégration au corps social !

Depuis janvier 2021, Qualiopi est la seule certification qui permet aux organismes qui dispensent des actions de formation, de bilan de compétences, de V.A.E et ou d’apprentissage, d’obtenir des fonds de financements publics et/ou mutualisés. Elle est payante et se compose de 7 critères, 32 indicateurs, et de modalités d’audit et d’accréditation. Cependant, elle n’a pas empêché les arnaques et les ventes forcées. Sur 100 000 prestataires de formation, seulement 45 000 sont certifiés ou réputés satisfaire la certification. Rappelons que Qualiopi vise à améliorer la qualité des processus entourant les actions de formation, c’est-à-dire l’administratif qui encadre en amont et en aval de la formation. Il n’y a aucun effet sur la qualité intrinsèque des formations c’est-à-dire les contenus pédagogiques. Les objectifs sont avant tout économiques et politiques : réduire le nombre d’organismes de formation et les financements qui les accompagnent.

Mercredi 22 mars 2023, vous avez affirmé « qu’il y a une tendance à vouloir s’abstraire du principe de réalité ». Dans le cadre de la réforme des retraites, cette « tendance » représente tout de même plus de 90% des citoyens qui considèrent votre loi comme inique. Le principe de réalité est étroitement lié au principe de plaisir et induit la recherche de la satisfaction immédiate de ses pulsions, ou autrement dit, la réalisation hallucinatoire du désir. Alors, oui, il y a une tendance à vouloir s’abstraire de votre principe de réalité qui souhaite poursuivre son programme impopulaire de réformes de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle au profit du « plein emploi précaire ».

Est-ce que l’État se désengage de ses prérogatives garant de l’éducation de chaque citoyen en faveur de la formation patronale par apprentissage au détriment d’une réelle éducation et insertion professionnelle des jeunes ?
Allez-vous continuez de dégrader le système éducatif français et la formation professionnelle déjà en déliquescence au profit de votre principe de réalité ?

Montreuil le 14 avril 2023